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parties vivantes et recherche les belles proportions des corps, mais encore dans sa doctrine générale du monde. Il admet que toute la nature est pleine de forces, de vies et d’âmes, sentiment si éloquemment rendu dans Faust et dans les Poésies, bien plus, il souscrit expressément à la Monadologie. Dans son splendide discours funèbre sur Wieland (1812), il développe en un langage que n’eût pas désavoué Leibniz tout le détail de cette doctrine, au moyen de laquelle il explique l’immortalité de la pensée, c’est-à-dire des monades conscientes. Toute cette école en définitive nous fournit la preuve de l’influence que les doctrines philosophiques exercent sur l’esprit des savans, et par suite sur la marche des inventions. Nous y voyons le profit qu’il y a toujours à diriger les investigations et les expériences avec les indications supérieures du génie spéculatif, et aussi la nécessité qu’il y a pour les philosophes de tenir compte des argumens objectifs.

Notre siècle a oublié trop longtemps ces importantes leçons. On y a vu la philosophie se séparer de la science pour contracter alliance avec la littérature et la morale. Tandis qu’étroitement unies la science et la philosophie étaient destinées, par le progrès naturel des choses, à s’entendre de plus en plus, elles retardèrent, en divorçant, l’heure si désirée d’une conciliation. Sans doute des livres bien écrits et pleins de belles pensées furent encore publiés dans les écoles de philosophie, sans doute de grandes découvertes furent encore accomplies dans les écoles scientifiques ; mais les doctrines avaient disparu, et avec elles les méditations longues et vivifiantes. La science, en s’éloignant des hautes pensées, prit un caractère empirique et perdit sa dignité. La philosophie, à force d’ignorer les faits d’expérience, arriva au chimérique. L’esprit cartésien, et non peut-être l’esprit de Descartes, devenu prépondérant, poussa les métaphysiciens à un spiritualisme creux et les physiciens à un matérialisme sophistique. Pendant que la connaissance de l’esprit se perdait ainsi dans une littérature déclamatoire, et la connaissance de la nature dans une investigation dispersée, les vaines disputes se multipliaient, inspirées plus souvent par la passion que par la raison, fournissant des armes à ce que la passion suggère de moins noble, décourageant les plus louables entreprises de la raison. Aujourd’hui cet état de choses touche à son déclin, et la philosophie de Leibniz semble devoir être le plus efficace auxiliaire de ceux qui désirent l’alliance fructueuse de la science et de la métaphysique. Les esprits les plus élevés dans les écoles les plus diverses font concevoir cette espérance. Ils ne se contentent pas d’en souhaiter la réalisation ; ils y travaillent directement, sans se laisser arrêter ni par les préjugés, ni par les objections.

Le résultat le mieux établi par les vivisections de la physiologie