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l’âme sur le corps ; il croit qu’elles ont un certain sentiment intuitif les unes des autres, une sorte d’aperception de ce qui n’est point elles. Il pense que, se sentant mutuellement, elles manifestent une sorte d’irritabilité plus ou moins consciente à l’égard de leurs vertus réciproques. Il considère même que, recevant l’impression harmonique du monde entier dont elles sont facteurs, elles le reflètent de quelque façon et en expriment la loi. Chaque substance, dit-il, est perceptive et représentative du monde entier, suivant son point de vue et ses impressions. C’est un miroir de la beauté de l’univers. Un poète persan avait déjà dit : « Fendez un atome et vous y trouverez un soleil. » En un mot, les monades, quoique possédant chacune en soi un principe propre d’activité et de direction, agissent ensemble dans une synergie régulière ; mais quel lien les joint ? Ces rapports que nous apercevons entre elles ne sont-ils que des rapports de raison ? Existe-t-il des relations nécessaires des unes aux autres ? Comment l’unité règne-t-elle dans le monde ? C’est la suprême inconnue de notre science et un des argumens leibniziens en faveur de l’existence de Dieu. Dieu fait la liaison, la communication des substances. De plus ces substances, logiquement associées, bien que jouant chacune un rôle distinct, tendent vers un but final.

La loi de continuité montre de nouvelles relations plus étroites entre les monades et détermine la gradation de leurs états divers. Les traits de l’avenir sont formés par avance, et les traces du passé se conservent toujours dans chaque substance. Par là, tout événement émane de ceux qui le précèdent. D’autre part, les monades, dans leurs diversités infinies, se suivent sans lacune depuis la plus rudimentaire jusqu’à la plus parfaite. La progression, que nous concevons dans les quantités, abstraites de la mathématique, existe entre les quantités réelles du monde, qui sont les monades de toute espèce. La force, la vie, la volonté, sont réparties en proportions variées à tous les degrés de cette immense série, en bas sourdes et imperceptibles, en haut puissantes et fécondes. Le passage des monades inférieures aux supérieures se fait graduellement par mille intermédiaires. Les principes des corps vont se perfectionnant de plus en plus, et ne diffèrent point essentiellement de ceux des âmes auxquels ils se rattachent. Les âmes à leur tour sont nombreuses, et obéissent aussi à une loi de progrès. Il y a une quantité immense de degrés de vie se dominant plus ou moins les uns les autres, depuis l’obscure activité de l’atome de sable jusqu’à la puissance souveraine de l’esprit absolu. Descartes avait dit que tous les faits de la nature s’entre-suivent comme des vérités géométriques. Leibniz nous montre dans les choses un ordre plus profond et plus général. Tout est proportionné, analogue, harmonique ; tout se tient, tout se continue suivant un enchaînement ininterrompu. De la sorte, il n’y