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Cette âme, cette monade éminemment active, dans quels rapports se trouve-t-elle avec les monades d’ordre inférieur, avec les élémens du corps ? Selon Leibniz, la masse organisée par où se manifeste l’âme, étant d’une nature fort rapprochée, agit réciproquement d’elle-même, quand l’âme le veut, sans que l’un trouble les lois de l’autre, les esprits et le sang ayant justement alors les mouvemens qu’il leur faut pour répondre aux passions et aux perceptions de l’âme. C’est ce rapport mutuel, réglé par avance dans chaque substance de l’univers, qui en produit la communication, et qui fait en particulier l’union de l’âme et du corps. On peut entendre par là que l’âme a son siège dans le corps par une présence immédiate et intime, car elle y est comme l’unité est dans la multitude. L’âme, monade pensante, agit concurremment avec les monades subalternes, mais vitales encore, qui en même temps qu’elle s’expriment par la substance organisée où la pensée a son siège. L’âme est en relation avec les activités inférieures de la vie, comme celles-ci le sont avec les activités les plus sourdes de la matière brute, dans une concomitance qui n’est pas une dépendance.

Il faut maintenant s’élever plus haut, rechercher les rapports et la solidarité des monades dans l’univers. Trois principes, celui de l’harmonie préétablie, dont nous venons de parler, celui de continuité et celui de la raison suffisante, sont ici le fonds de la métaphysique leibnizienne. L’harmonie préétablie n’exprime pas autre chose que le fait indéniable de la conjonction de toutes les monades dans l’univers. Notre esprit aperçoit entre elles une infinité de relations dont il ne saisit point la nécessité physique. Il ne sait pas pourquoi deux monades agissent ensemble ou l’une sur l’autre pour déterminer un résultat quelconque. Il ne peut expliquer comment les monades d’ordre inférieur influent sur celles d’ordre supérieur, celles du corps sur celles de l’âme et réciproquement. Bref, comme l'a montré Hume, nous n’apercevons aucun lien logique et nécessaire entre les phénomènes qui se succèdent dans la suite des relations de cause à effet. Cependant nous sommes sûrs que pas une molécule du monde n’est étrangère aux autres, que pas une n’est isolée de l’ensemble, que toutes sont conjointes et fonctionnent dans le tourbillon de l’existence totale. Nous observons que tout effet dépend d’une infinité de causes, et que toute cause a une infinité d'effets. Le concours, la conspiration, le consensus de toutes les monades vers un ordre régulier prouve évidemment une harmonie établie entre leurs activités essentielles. Il y a un parfait accord en vertu duquel chaque substance, suivant ses propres lois, se rencontre dans ce que demandent les autres. Cette harmonie cache pour Leibniz autre chose que de simples rapports de causalité. Il voit dans les relations des monades des influences du genre de celles de