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tomba dans un grand affaissement d’où la prise d’Orléans devait bientôt la tirer. Les hommes éclairés pensaient que le moment était venu de convoquer une assemblée nationale. Beaucoup d’anciens députés s’étaient rendus à Tours pour faire adopter cette idée. On citait, entre autres, MM. Grévy, Thiers, Wilson, de Talhouët, Lambrecht, Cochery. M. Grévy surtout passait pour soutenir très énergiquement cette opinion ; mais ils étaient traités de réactionnaires, d’alliés de la Prusse, par les feuilles démocratiques. C’est en vain que l’on invoquait l’exemple de Paris, où les maires et les adjoints avaient été nommés par le peuple à la suite de la journée du 31 octobre. Il y avait une étrange contradiction à faire voter la capitale assiégée et à maintenir sans représentans les trois quarts de la France, qui n’étaient pas alors occupés par l’ennemi. M. Crémieux penchait pour donner satisfaction au pays ; M. Gambetta s’y refusait de la manière la plus absolue. Ce fut une faute considérable, et qui ne put jamais être réparée.

Les événemens militaires absorbèrent l’attention pendant tout le mois de novembre. La France suivait avec anxiété les mouvemens de l’armée du général d’Aurelle de Paladines. M. Gambetta déployait une activité fébrile, tantôt dans le travail du cabinet et la rédaction de nombreux décrets, tantôt dans la visite des camps et l’inspection de l’armée. Au milieu de ces travaux de toute sorte, le jeune ministre trouva le loisir de lancer une des plus étranges circulaires auxquelles il ait attaché son nom. Le gouvernement avait fondé une petite feuille de propagande intitulée Bulletin de la république. Elle était destinée à remplacer le Moniteur des communes, et paraissait trois fois par semaine. Dans une circulaire en date du 10 novembre, M. Gambetta se plaignait aux préfets de la négligence ou du mauvais vouloir des maires relativement à l’affichage de cette publication dans chaque commune. Il leur ordonnait d’avoir l’œil sur ces inexactitudes et de les faire cesser au plus tôt ; mais il allait beaucoup plus loin. « Pour assurer au Bulletin de la république une publicité plus certaine et plus efficace encore, » il décida que la lecture en serait faite « tous les dimanches obligatoirement, et même plusieurs fois dans le cours de la semaine, » aux habitans par l’instituteur de chaque commune. Le but principal du Bulletin de la république, soi-disant destiné à éclairer les campagnes, était de flétrir la dynastie des Napoléons en publiant toutes les anecdotes scandaleuses de la cour. Plusieurs numéros donnèrent successivement tout au long l’histoire des « liaisons de Napoléon III et de Marguerite Bellanger » ou de « Napoléon III avec miss Howard. » Sauf quelques rares articles, le Bulletin de la république était écrit dans un style vulgaire et populacier. À tous ces points de vue, la lecture n’en pouvait être que démoralisatrice.