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jurisconsultes de cette époque enseignent que l’on doit appeler, non pas le suzerain, mais « les hommes qui ont fait le jugement. » La responsabilité de l’arrêt ne tombait pas sur le suzerain qui n’avait fait que présider, elle tombait sur les pairs qui avaient prononcé.

Le jugement par les pairs n’était pas le privilège de la noblesse. Le bourgeois, aussi bien que le gentilhomme, devait être jugé par ses égaux, c’est-à-dire par des bourgeois comme lui. Le principe s’appliquait à toutes les classes. Les tribunaux municipaux furent une institution régulière et générale en France jusqu’au xve siècle. À Bourges, « le jugement des causes et des querelles en la ville et banlieue appartient aux bourgeois. » À Arles, les arrêts, qui nous ont été conservés, sont rendus par les échevins de la cité. À Furne, en Flandre, à côté de la cour féodale, qui est formée de gentilshommes et qui ne juge que les nobles, il y a la cour des bourgeois, qui est composée de six bourgmestres et de vingt échevins, « lesquels représentent la loy commune de la ville. » À Amiens, le maire « siège en jugement avec la commune et les jurats. » À Paris, le tribunal municipal, au xiiie siècle, s’appelait le parloir aux bourgeois. C’était d’ailleurs le même corps qui, se modifiant avec les siècles, s’est appelé plus tard le corps de ville, puis la commune, enfin le conseil municipal. Avant de siéger dans le palais que nous appelons l’hôtel de ville, il tint ses séances dans une petite église voisine du Pont-au-Change. Il n’était pas seulement, comme il fut plus tard, un conseil d’administration ; il était un tribunal, et il jugeait au civil comme au criminel. Il était composé du prévôt des marchands et des échevins, qui à cette époque étaient élus tous les deux ans par la population. Ces juges étaient d’ailleurs assistés « d’un conseil de bonnes gens, des plus sages bourgeois et des plus anciens. » Il en fut ainsi jusqu’au xive siècle, époque où ce corps perdit sa juridiction, comme tous les corps municipaux la perdirent peu à peu dans toute la France.

Les tribunaux municipaux avaient souvent à leur tête un fonctionnaire nommé prévôt, qui représentait l’autorité seigneuriale ou l’autorité royale ; mais il ne faisait que présider, la décision appartenait tout entière aux bourgeois : même quand le maire était l’élu de la ville, il semblait que ce chef de la cité fût trop au-dessus des justiciables pour pouvoir les juger ; les vrais pairs étaient les échevins et les bourgeois. C’est pour cela que beaucoup de chartes obligent le maire à prononcer ses jugemens « suivant la décision des échevins et des jurés. »

L’obligation du jugement par les pairs, toute générale qu’elle fût au moyen âge, souffrait pourtant une exception. Il arrivait