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apparence, que le prix dont le coupable payait aux hommes du canton les dérangemens qu’il leur avait causés, et surtout l’assurance de paix qu’il avait obtenue d’eux. Il était désormais sous leur protection, et toute protection s’achetait.

On voit sans peine pourquoi les tribunaux germaniques ne prononçaient jamais ni la peine de mort ni l’emprisonnement ; c’est qu’ils n’étaient pas institués pour punir. Leur seul objet était de réconcilier. Ils n’avaient qu’à dire à quel taux la guerre serait évitée et la paix rétablie. C’est pour cela que la loi Salique et la loi des Ripuaires ne sont presque autre chose que des tarifs indiquant la somme à payer pour tel acte commis sur telle personne. La justice criminelle, chez ces peuples germains, se présentait exactement sous la même forme que la justice civile de nos jours. Elle procédait, non comme s’il s’agissait d’un acte moralement mauvais, d’une faute contre la loi morale, d’un crime, mais comme s’il s’agissait simplement d’un tort involontaire. En conséquence elle prononçait, non un châtiment, mais une réparation. Elle n’avait pas de pénalité, elle avait seulement des dommages et intérêts. Dans l’offenseur et l’offensé, elle ne voyait pas un criminel et une victime, elle ne voyait que deux parties en procès. Dès lors elle devait se montrer impartiale et indifférente entre ces deux hommes. Non-seulement elle ne s’appliquait pas à châtier un coupable, c’était au contraire le plus souvent ce coupable même qu’elle prenait sous sa protection en obligeant la victime à se contenter d’une indemnité. Dans un tel système, judiciaire, la prison préventive ne pouvait pas trouver place. Comme la société ne poursuivait pas un criminel, elle n’avait aucun motif pour s’assurer à l’avance de sa personne, et elle n’avait pas non plus le droit de lui retirer sa liberté. L’accusé d’ailleurs, en vertu des principes que nous venons de voir, était absolument l’égal de l’accusateur. Tous les deux comparaissaient également libres, comme il convenait à deux hommes en procès. Le tribunal, en simple arbitre qu’il était, ne devait pas marquer d’avance sa préférence pour l’un des deux.

Le principe germanique en matière de justice était donc l’opposé du principe romain. Le juge romain représentait l’autorité publique armée pour frapper un coupable ; les juges germains étaient des hommes qui défendaient un malheureux. Aussi peut-on reconnaître dans toute la suite de l’histoire que toute juridiction issue du droit romain a eu pour caractère d’être d’avance hostile au prévenu, tandis que toute juridiction issue du vieux droit germanique a eu pour caractère d’être d’avance favorable à l’accusé. L’une poursuit, l’autre protège. C’est que l’une a pour objet la répression, l’autre la médiation.