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DEUX TYPES DE FEMMES


DE L’AUTRE SIÈCLE




Mme  DU DEFFAND — Mme  ROLAND




On se trompe quand on parle de l’esprit du xviiie siècle comme d’une chose unique, ayant une réalité définie et son essence propre. Plus on y regarde de près, plus il devient manifeste qu’il s’y mêle bien des nuances de sentiment et même des oppositions d’idée qu’on ne saurait confondre sous un nom identique. J’y distingue surtout deux tendances marquées jusqu’à la contradiction, qui viennent se résumer tout naturellement dans le nom de deux femmes célèbres, et dont le rapprochement pourrait donner matière à un intéressant contraste. Je veux parler de Mme Du Deffand et de Mme Roland. Dans l’une se reflète l’image d’une société cultivée jusqu’au raffinement, avec son charme frivole jusqu’à une sorte de perversité, et aussi avec ses aridités et ses pauvretés de cœur, épuisant toutes les distractions et les plaisirs de l’esprit sans y trouver un instant de vrai bonheur. L’autre nous représente au vif ce siècle dans ce qu’il eut de meilleur et de plus grand, avec ses aspirations confuses gâtées par la déclamation, ses générosités d’enthousiasme mêlées aux plus étranges défaillances, dans la flamme et le feu de ses orageuses chimères. Je voudrais retracer en une sorte de parallèle ce double type qui exprime dans ses principales diversités une civilisation si complexe. Mieux que les plus savantes analyses, ce simple rapprochement fera saisir la différence profonde de ces deux aspects, de ces deux momens d’une société, trop souvent confondus dans la même appréciation, anathème ou apothéose selon les partis.