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vous la méprisez ; vous devriez croire en elle, y croire fermement, vous qui prétendez diriger ses forces. Vous vous présentez comme médecins, et vous crachez sur le malade avant même de lui avoir tâté le pouls. Tout cela, c’est le vertige de la chute. Il y a bien de quoi égarer les cerveaux les plus solides, mais tâchons de nous défendre et de nous ressaisir. Républicains, n’abandonnons pas aux partisans de l’empire la défense du principe d’affranchissement proclamé par nous, exploité par eux ; ne maudissons pas l’enfant que nous avons mis au monde, parce qu’il a agi en enfant. Redressez ses erreurs, faites-les lui comprendre, vous qui avez le don de la parole, la science des faits, le sens de la vie pratique. Ce n’est pas aux artistes et aux rêveurs de vous dire comment on influence ses contemporains dans le sens politique. Les rêveurs et les artistes n’ont à vous offrir que l’impressionnabilité de leur nature, certaine délicatesse d’oreille qui se révolte quand vous touchez à faux l’instrument qui parle aux âmes. Nous n’espérons pas renverser des théories qui ne sont pas les nôtres, qui se piquent d’être mieux établies ; mais nous nous croyons en rapport, à travers le temps et l’espace, avec une foule de bonnes volontés qui interrogent leur conscience et qui cherchent sincèrement à se mettre d’accord avec elle. Ces volontés-là défendront la cause du peuple, le suffrage universel ; elles chercheront avec vous le moyen de l’éclairer, de lui faire comprendre que l’intérêt de tous ne se sépare pas de l’intérêt de chacun. N’y a-t-il pas des moyens efficaces et prompts pour arriver à ce but ? Certes vous eussiez dû commencer par donner l’éducation, mais peut-être l’ignorant l’eût-il refusée. Il ne tenait pas à son vote alors, et quand on lui disait qu’il en serait privé s’il ne faisait pas instruire ses enfans, il répondait : Peu m’importe. Aujourd’hui ce n’est plus de même, le dernier paysan est jaloux de son droit et dit : Si on nous refuse le vote, nous refuserons l’impôt. C’est un grand pas de fait. Donnez-lui l’instruction, il est temps.

Fondez une véritable république, une liberté sincère, sans arrière-pensée, sans récrimination surtout. Ne mettez aucun genre d’entrave à la pensée, décrétez en quelque sorte l’idéal, dites sans crainte qu’il est au-dessus de tout ; mais entendez-vous bien sur ce mot au-dessus, et ne lui donnez pas un sens arbitraire. La république est au-dessus du suffrage universel uniquement pour l’inspirer ; elle doit être la région pure où s’élabore le progrès, elle doit avoir pour moyens d’application le respect de la liberté et l’amour de l’égalité, elle n’en peut avouer d’autres, elle n’en doit pas admettre d’autres. Si elle cherche dans la conspiration, dans la surprise, dans le coup d’état ou le coup de main, dans la guerre civile en un mot, l’instrument de son triomphe, elle va disparaître pour longtemps encore, et les hommes égarés qui l’auront perdue ne la relèveront jamais.