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avec vous, et où, sans la liberté du vote, nous serions encore les plus forts. Cette force irrégulière, ce serait la jacquerie. Nous ne voulons plus de ces déchiremens ! Grâce à notre droit de citoyens, nous nous sommes entendus d’un bout de la France à l’autre, nous ne voulons plus nous battre les uns contre les autres. Nous voulons être et nous sommes le frein social, le pouvoir qui enchaîne les passions et qui décrète l’apaisement. »

Et cela est ainsi déjà lourdement, brutalement peut-être, mais providentiellement. Non, non ! ne touchez pas au vote, ne regrettez pas d’avoir fondé la souveraine égalité. Le peuple, c’est votre incarnation ! Vous vous êtes donné un compagnon qui vous contrarie, qui vous irrite, qui vous blesse : injuste encore, il méconnaît, il renie la république, sa mère ; mais, si sa mère l’égorgé, vaudra-t-elle mieux que lui ? À présent d’ailleurs, elle l’essaierait en vain. L’enfant est devenu trop fort. Vous auriez la guerre du simple contre le lettré, du muet contre l’avocat, comme ils disent, une guerre atroce, universelle. Le vote est l’exutoire ; fermez-le, tout éclate !

Nohant, 6 novembre.

Me voilà revenue au nid. Je me suis échappée, ne voulant pas encore amener la famille ; je retournerai ce soir à La Châtre, et je reviendrai demain ici. J’en suis partie il y a deux mois par une chaleur écrasante, j’y reviens par un froid très vif. Tout s’est fait brutalement cette année. — Pauvre vieux Nohant désert, silencieux, tu as l’air fâché de notre abandon. Mon chien ne me fait pas le moindre accueil, on dirait qu’il ne me reconnaît pas : que se passe-t-il dans sa tête ? Il a eu froid ces jours-ci, il me boude d’avoir tant tardé à revenir. Il se presse contre mon feu et ne veut pas me suivre au jardin. Est-ce que les chiens eux-mêmes ne caressent plus ceux qui les négligent ? Au fait, s’il est mécontent de moi, comment lui persuaderais-je qu’il ne doit pas l’être ? J’attise le feu, je lui donne un coussin et je vais me promener sans lui. Peut-être me pardonnera-t-il.

Le jardin que j’ai laissé desséché a reverdi et refleuri comme s’il avait le temps de s’amuser avant les gelées. Il a repoussé des roses, des anémones d’automne, des mufliers panachés, des nigelles d’un bleu charmant, des soucis d’un jaune pourpre. Les plantes frileuses sont rangées dans leur chambre d’hiver. La volière est vide, la campagne muette. Y reviendrons-nous pour y rester ? La maison sera-t-elle bientôt un pauvre tas de ruines comme tant d’autres sanctuaires de famille qui croyaient durer autant que la famille ? Mes fleurs seront-elles piétinées par les grands chevaux du Mecklembourg ? Mes vieux arbres seront-ils coupés pour chauffer les jolis pieds prussiens ? Le major Boum ou le caporal Schlag coucheront-