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tenant à son erreur, mais entendant quand même on ne peut mieux les questions qui lui étaient posées. Elle a toujours voté pour l’ordre, pour la paix, pour la garantie du travail. On l’a trompée, on lui a donné le contraire de ce qu’elle demandait ; ce qu’elle croyait être un vote de paix a été un vote de guerre. Elle a cru à une savante organisation de ses forces, on ne lui a légué que le désordre et l’impuissance. Nous lui crions maintenant : C’est ta faute, Jacques Bonhomme, tu expies l’on erreur et ton entêtement.

Si Jacques Bonhomme avait un organe fidèle de ses idées, voici ce qu’il répondrait : « Je suis le peuple souverain de la première république et en même temps le peuple impérialiste du second empire. Vous croyez que je suis changé, c’est vous qui l’êtes. Quand vous étiez avec moi, je vous défendais, même dans vos plus grandes fautes, même dans vos plus funestes erreurs, comme j’ai défendu Napoléon III jusqu’au bout. Nous nous sommes brouillés, vous et moi, au lendemain de 48 ; vous vous battiez, vous vous proscriviez les uns les autres. On nous a dit : « L’empire c’est la paix. » Nous avons voté l’empire, c’est nous qui punissons les partis, quels qu’ils soient. Nous punissons brutalement, c’est possible. D’où nous sommes, nous ne voyons pas les nuances, et d’ailleurs nous ne sommes pas assez instruits pour comprendre les principes, nous n’apprécions que le fait. Arrangez-vous pour que le fait parle en votre faveur, nous retournerons à vous. »

Le fait ! le paysan ne croit pas à autre chose. Tandis que nous examinons en critiques et en artistes la vie particulière, le caractère, la physionomie des hommes historiques, il n’apprécie et ne juge que le résultat de leur action. Dix années de repos et de prospérité matérielle lui donnent la mesure d’un bon gouvernement. A travers les malheurs de la guerre, il n’apercevra pas les figures héroïques. Je l’ai vu lassé et dégoûté de ses grands généraux en 1813. S’il eût été le maître alors, l’histoire eût changé de face et suivi un autre courant. S’il est revenu à la désastreuse légende napoléonienne, qu’il avait oubliée, c’est qu’à ses yeux la république était devenue un fait désastreux en 48.

Et plus que jamais, hélas ! notre idéal est devenu pour lui un fait accablant ; ce que le paysan souffre à cette heure, nous ne voulons pas en tenir compte, nous ne voulons pas en avoir pitié. « Paie le désastre, toi qui l’as voté ; » voilà toute la consolation que nous savons lui donner. Mon Dieu ! puisqu’il faut qu’il porte le plus lourd fardeau, n’ayons pas la cruauté de lui reprocher sa ruine et son désespoir. La république n’est pas encore une chose à sa portée ; qui donc la lui aurait enseignée jusqu’ici ? Elle n’a fait que disputer, souffrir, lutter jusqu’à la mort sous ses yeux, et il est le juge sans oreilles qui veut palper des preuves. Il ne se paie pas de gloire, il