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Comme on ne s’entend pas là-dessus, il serait bien à propos de le désigner, de le définir.

Les uns me disent : L’ennemi de la république, c’est le parti rouge, ce sont les démagogues, les clubistes, les émeutiers. Cela est très vague. Parmi ces impatiens, il doit y avoir, comme dans tout parti, des hommes généreux et braves, des bandits lâches et stupides. C’est au peuple d’épurer les champions de sa cause, de séparer le bon grain de l’ivraie ; s’il ne le fait pas, si les honnêtes gens se laissent dominer par des exploiteurs, qu’on les contienne durant quelques jours, leur égarement ne sera pas de longue durée. Beaucoup d’entre eux ouvriront les yeux à l’évidence, et se déferont eux-mêmes de l’élément impur qui souillerait leur drapeau. Ils reviendront, s’ils ont des plaintes à formuler, aux moyens légaux ou aux manifestations dignes et calmes, qui seules font autorité vis-à-vis de l’opinion. Je me résoudrai difficilement à traiter d’ennemis ceux que la violence des réactions a qualifiés d’insurgés, de communistes, de partageux, selon la peur ou la passion du moment. Que ceux d’aujourd’hui se trompent ou non, s’ils sont sincères et humains, ils sont nos égaux, nos concitoyens, nos frères. — Ils veulent piller et brûler, dites-vous ? — Prenez vos fusils et attendez-les ; mais il y a vingt ans qu’on les attend, et il ne s’est produit que des émeutes partielles où rien n’a été pillé ni brûlé pour cause politique. S’il y a des bandits qui exercent leur industrie sous le masque socialiste, je ne leur fais pas l’honneur de les traiter d’ennemis. Les malheureux qui au bagne expient des crimes envers l’humanité ne sont qualifiés d’ennemis politiques par aucun parti. Laissons donc aux enfans et aux bonnes femmes la peur des rouges ; on est rouge, on est avancé, et on est paisible quand même. Si en dehors de cela on est assassin, voleur ou fou furieux, qu’on s’attende à se heurter contre des citoyens improvisés gendarmes. Il y en aura plus que de besoin, et, s’il est un parti à qui la peur soit permise, c’est justement ce parti rouge qui vous fait trembler, car dans les réactions vous avez bien vu les innocens payer par milliers pour les coupables en fuite ou pour les provocateurs en sûreté. — Honnêtes gens qui répétez cette banalité : les rouges nous menacent ! calmez-vous. Ils sont bien plus menacés que vous, et ils constituent en France une infime minorité dont on aura partout raison à un moment donné.

Pourquoi la république, disent les autres, ferait-elle cause commune avec un parti qu’elle appelle aussi l’ennemi ? Ce parti-là, les républicains d’aujourd’hui l’appellent la réaction. Il faut bien se servir encore de ce vocabulaire suranné ; quand donc, hélas ! en serons-nous débarrassés ? Les réactionnaires se composent des légitimistes, des orléanistes, des bonapartistes et des cléricaux, qui sont ou lé-