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ciennes gloires, par l’amour du pays, par la fierté patriotique ; sinon, un de ces matins, il se rendra en disant comme son maître à Sedan : « Je suis las ; » ou il fera une brillante sortie au cri de « mort à la république ! » Et s’il avait la chance de gagner quelque grande victoire sur l’Allemagne, que ferait la république ? Elle a cru l’avoir dans ses intérêts, parce qu’elle a désiré lui voir prendre le commandement, parce qu’elle a placé en lui sa confiance. Il ne lui en a pas su gré, il la trahit ; mais je suppose qu’il délivre la France ! Comment sortir de cette impasse ? Nous battrions-nous contre ces soldats qui battraient l’étranger ? y aurait-il un gouvernement pour les mettre hors la loi et les accuser de trahison ?

Notre situation est réellement sans issue, à moins d’un miracle. Nous nous appuyons pour la défense du sol sur des forces encore considérables, mais qui combattent l’ennemi commun sous des drapeaux différens, et qui ne comptent pas du tout les abandonner après la guerre. Le gouvernement a fait appel à tous, il le devait ; mais a-t-il espéré réussir sans armée à lui, avec des armées qui lui sont hostiles, et qui ne s’entendent point entre elles ? Ceci ressemble à la fin d’un monde. Je voudrais pouvoir ne pas penser, ne pas voir, ne pas comprendre. Heureux ceux dont l’imagination surexcitée repousse l’évidence et se distrait avec des discussions de noms propres ! Je remercierais Dieu de me délivrer de la réflexion ; au moins je pourrais dormir. Ne pas dormir est le supplice du temps. Quand la fatigue l’emporte, on se raconte le matin les rêves atroces ou insensés qu’on a faits.

14 octobre.

Les Prussiens ne sont pas entrés à Orléans ; mais ils y entreront quand ils voudront, ils ont fait la place nette. Le général La Motterouge est battu et privé de son commandement pour avoir manqué de résolution, disent les uns, pour avoir manqué de munitions, disent les autres. Si on déshonore tous ceux qui en seront là, ce n’est pas fini !

15.

Pas de nouvelles. La poste ne s’occupe plus de nous ; tout se désorganise. Je suis étonnée de la tranquillité qui règne ici. La province consternée se gouverne toute seule par habitude.

Dimanche 16.

J’aurais voulu tenir un journal des événemens ; mais il faudrait savoir la vérité, et c’est souvent impossible. Les rares et courts journaux qui nous parviennent se font la guerre entre eux et se contredisent ouvertement. « Les mobiles sont des braves. — Non, les mobiles faiblissent partout. — Mais non, c’est la troupe régu-