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travail (la presse de Liverpool compte un journal gallois), mais au-delà de l’Atlantique même. Les nombreux émigrans gallois qui se sont établis en Amérique y conservent avec ténacité leur langue et leur nationalité ; il existe aux États-Unis et en Australie plusieurs journaux et recueils en langue galloise, il s’en trouve même sur les bords du fameux Lac-Salé, où les Gallois de la communauté mormonne publient une feuille sous le titre apocalyptique de Trompette de Sion (Udgorn Sion). Il est difficile de nier pourtant que le pays de Galles est dès maintenant menacé de perdre un jour son caractère national. Il ne vit plus isolé du reste de la Grande-Bretagne ; les railways le traversent de part en part, et son union avec l’Angleterre devient tous les jours trop intime pour qu’il ne se fonde pas finalement dans celle-ci. Ce que la conquête n’a pu faire, la communauté d’intérêts le réalisera. Les relations de peuple à peuple, de province à province, ont pris une telle extension que les grandes nations menacent d’absorber les petites par l’unique pression de leur influence. Aussi l’élément gallois pourrait bien d’ici à quelques siècles disparaître dans le milieu anglo-saxon qui l’enserre de plus en plus en Grande-Bretagne et en Amérique.

C’est ce qui a inspiré à quelques patriotes gallois la courageuse pensée de diriger à l’avenir autant que possible l’émigration galloise vers une contrée encore vierge d’habitans, au moins d’habitans civilisés, pour y fonder avec l’aide du temps un état exclusivement celtique. Leur choix se porta sur la Patagonie. « L’agitation » qu’ils organisèrent à cet effet n’eut pas dès l’abord très grand succès, car un émigrant préfère généralement chercher fortune dans une société déjà formée plutôt que d’accepter le rude labeur de fonder une société nouvelle. Peu d’émigrans répondirent au premier appel du comité de « l’émigration galloise » (Gwladfa Gymreig), et la première troupe qui partit de Liverpool à la fin de mai 1865 ne comptait pas même deux cents personnes. Deux mois après, ils arrivaient sur les bords du fleuve Chupat et s’y établissaient. Ils ne manquèrent pas de donner des noms celtiques à leur nouveau pays, qu’ils appelèrent Bro Wen (beau pays) ; le Rio-Chupat reçut d’eux le nom d’Afon Lwyd (fleuve gris). Ils eurent au début de pénibles épreuves à traverser ; mais leur ténacité en vint à bout, et leur petite communauté est aujourd’hui en pleine prospérité sous le patronage de la république argentine, dont elle est connue sous le nom de Colonia de Gualenses. Leur nombre s’est accru par l’arrivée de nouveaux émigrans, et, qui sait ? un jour viendra peut-être où, disparue d’Europe et absorbée dans les deux mondes par la race anglo-saxonne, la race celtique ne survivra plus que sur les bords du Chupat !

h. gaidoz.

C. Buloz.