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taires engagées en Angleterre, en Autriche, sont à coup sûr ce qu’il y a de plus instructif, M. de Bismarck, dit-on, se permettait, il y a quelque temps, ce sarcasme injurieux et superbe : « il n’y a plus d’Europe. » Le fait est que, s’il y a une Europe, depuis six mois elle met tout son zèle à s’effacer et à se faire petite. Si ce n’était si triste, le livre des documens anglais serait une histoire presque plaisante de l’impuissance méticuleuse ou égoïste de toute une collection de gouvernemens qui passent pour avoir de l’influence dans le monde. Cette ligue des neutres qu’on avait inventée comme une heureuse combinaison, destinée à devenir le point de départ des médiations ou des interventions européennes, cette ligue apparaît tout simplement comme une assurance mutuelle contre toute tentation ou toute velléité d’action. Angleterre, Russie, Autriche, Italie, s’entendent merveilleusement pour se barricader dans leur rôle de spectatrices, sinon absolument indifférentes, du moins bien étrangement passives. La neutralité, c’est un beau mot pour couvrir quelquefois toutes les défaillances. On veut bien sans doute avoir l’air de ressentir quelque intérêt pour cette nation accablée qu’on commence à ne plus craindre, et nous ne voulons pas oublier les généreuses marques de sympathie récemment prodiguées par les Anglais à la population de Paris. Malheureusement, au-delà de ces manifestations spontanées des sympathies individuelles, la politique de l’Angleterre et des autres puissances semble consister depuis six mois à ne rien faire et même à éviter les occasions de faire quelque chose.

L’Angleterre ne demanderait pas mieux que de prêter ses bons offices, elle le déclare sans cesse ; puis le moment venu, quand on fait appel à sa bonne volonté, elle répond qu’une intervention « ferait plus de mal que de bien, » qu’il faut attendre, qu’elle ne peut agir que s’il y a une base de paix acceptée d’abord par les belligérans. Le cabinet de Londres est plein d’amitié, il voudrait qu’on n’offrît à la France que d’équitables conditions de paix, qu’on respectât surtout son intégrité territoriale, il déplore le bombardement de Paris. Que faire cependant ? Il ne le sait pas. En vain le gouvernement français entoure l’Angleterre de démarches et de sollicitations avec une persévérance que rien ne décourage, en vain ce malheureux gouvernement presse le cabinet britannique de prendre directement l’initiative d’ouvertures pacifiques auprès de la Prusse, ou de mettre en mouvement cette fameuse ligue des neutres qui ne sert qu’à lui enlever, à lui, la possibilité de chercher des alliés ; l’Angleterre a toute sorte de raisons pour ne point sortir de son immobilité, et la plus triste de toutes les raisons pour une grande nation comme la nation anglaise, c’est assurément d’être obligée d’avouer qu’elle s’arrête devant la mauvaise humeur de M. de Bismarck, qui ne veut point de l’intervention des neutres. Que disons-nous ? M. de Bismarck ne veut pas même des bons offices des puissances neutres, et lord Granville, avec toute la meilleure volonté, est réduit à se replier dans son inaction en