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lans. Il leur aurait été difficile d’expliquer ce qu’ils avaient à reprocher à leurs amis de la veille ; mais, à défaut de griefs véritables, ils s’en forgeaient d’imaginaires. Fidèle aux principes appliqués pendant les guerres précédentes, le cabinet anglais n’a mis aucune entrave au commerce des armes de guerre. Cependant il paraît certain que les manufactures anglaises n’ont fourni à la France qu’un très petit nombre de fusils, et qu’elles en ont expédié peut-être davantage à l’Allemagne par l’intermédiaire des autres pays neutres. Les États-Unis nous ont au contraire livré d’énormes quantités d’armes de guerre. Le comte de Bismarck n’a rien osé dire au gouvernement de Washington, qu’il estime être hors de ses atteintes et dont il aura peut-être besoin plus tard, tandis qu’il a poursuivi le cabinet anglais de ses réclamations. Quand les Allemands ramassent sur le champ de bataille des fusils nantis d’une marque exotique, ils se disent tous que c’est de provenance anglaise ; leur mauvaise humeur contre la Grande-Bretagne s’accroît d’autant, bien que cette marque soit la plupart du temps celle d’un fabricant transatlantique.

Ceux d’entre nous qui ont eu l’occasion de traverser la France pendant les tristes mois qui viennent de s’écouler auront rencontré une fois au moins des Anglais dans une gare de chemin de fer. C’était pitié de voir comme les préjugés populaires s’acharnaient après ces malheureux voyageurs, qui étaient tout au moins inoffensifs et le plus souvent même favorables à notre cause. Cependant cette injuste prévention s’excusait encore de notre part par l’excès de nos malheurs, qui nous portait à voir des ennemis dans tous les étrangers ; mais que des commandans prussiens aient maltraité des Anglais que le devoir ou la curiosité attirait dans les villes occupées, cela ne s’explique que par une brutalité native ou par une malveillance intéressée. C’est néanmoins ce que l’on a vu en maints endroits. Au mois de décembre, le commandant prussien d’Étampes faisait emprisonner pendant deux jours quatre officiers anglais, dont l’un, le capitaine Hozier, chargé d’une mission officielle au quartier-général du roi de Prusse.

Voici qui est plus grave. Dans les derniers jours de décembre, le général prussien von Gœben se trouvait en forces sur les bords de la Seine en aval de Rouen ; il voulait barrer le fleuve de façon à empêcher les canonnières françaises de remonter jusqu’à Rouen. Six navires de commerce sous pavillon anglais étaient à l’ancre entre Duclair et La Meilleraye. Le général s’en empara et les fit saborder en travers du courant, après les avoir, il est vrai, estimés suivant sa fantaisie et payés en bons de réquisition. L’un des matelots qui n’avait pas quitté son bord assez tôt fut blessé. Le pavillon neutre n’est-il donc plus sacré dans les eaux où l’état de blocus n’a pas été notifié ? M. Odo Russell était alors précisément au quartier-gé-