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d’action commune, aucune des puissances garantes n’était tenue d’intervenir. Le duc d’Argyll jugea dès lors la situation d’un seul mot. Réduite à ces termes, dit-il à la chambre des lords, la garantie de neutralité accordée au grand-duché n’est qu’une « farce. » La France et la Prusse ne songèrent pas à réclamer contre cette façon commode d’interpréter la convention de 1867 ; mais nous ne sommes pas obligés de nous en tenir aujourd’hui à cette interprétation de fantaisie à laquelle le cabinet anglais eut recours pour se tirer d’affaire. Le traité de 1867 reste entier pour nous, avec le sens que les mots de garantie internationale ont eu de tout temps. Cela veut dire, n’en déplaise à lord Derby, que la Prusse, en violant les dispositions du traité de Londres, commet une offense envers chacune des puissances qui y ont pris part.

Tout le monde a compris ce que M. de Bismarck entendait faire au moyen de cette dénonciation de neutralité survenue à une époque où le Luxembourg est éloigné du théâtre de la guerre ; c’est une manière de préparer l’annexion du grand-duché. La population luxembourgeoise ne s’y est pas trompée un instant, elle a manifesté par des vœux unanimes son désir de rester soumise au roi de Hollande, ce qui n’empêchera pas le gouvernement prussien de poursuivre ses projets d’annexion, car il fait profession de peu s’inquiéter du suffrage populaire. On dit déjà qu’il impose au gouvernement grand-ducal une contribution de guerre de deux millions comme à un pays conquis, qu’il met garnison dans la citadelle imparfaitement détruite, et qu’il s’attribue l’exploitation des chemins de fer de la province. Si cela est vrai, ce n’est pas seulement la neutralité du grand-duché qui est violée, c’est son existence même comme état indépendant. Le roi de Hollande est dépossédé violemment d’une souveraineté que l’Europe assemblée lui avait garantie, et l’Angleterre, retranchée derrière son explication commode du traité de 1867, ne tentera pas un effort pour sauvegarder l’indépendance d’un état qui subsistait sous sa protection. Avis aux autres petits états qui vivent tranquilles et confians sous la promesse collective d’être traités en pays neutres par leurs redoutables voisins. Suisses, Hollandais, et vous aussi, Belges, soyez prévenus que l’Angleterre saura se délier par un détour des obligations qu’elle a contractées envers vous, si vous êtes menacés, et que son intérêt immédiat ne lui commande pas de vous venir en aide.

La déclaration adressée par M. de Bismarck au gouvernement luxembourgeois était donc, quoi qu’on en dise à Londres, un affront direct à l’Angleterre. En même temps des sentimens hostiles à la Grande-Bretagne étaient habilement répandus dans l’armée allemande. Officiers et soldats de l’armée d’invasion s’habituaient par degrés insensibles à traiter les Anglais comme des neutres malveil-