Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les événemens et la conscience humaine en ont fait justice. Pourquoi l’Allemagne, si c’est bien elle qui parle par l’organe de la Prusse, prend-elle envers Louis XIV le rôle de redresseur de torts, et vient-elle insulter dans le palais de Versailles au fondateur de cette résidence royale ? C’est parce que le règne de Louis XIV marque la phase la plus brillante de l’ancienne royauté française.

La victoire de la Prusse ne serait pas complète, si, après avoir vaincu dans la moins honorable de ses formes de gouvernement la France nouvelle, la France de la révolution, au moyen d’une vaste surprise combinée avec une habileté inouïe, elle ne triomphait en même temps, dans son palais même, par une fête solennelle, de la France ancienne, de la France monarchique, dont la France nouvelle est issue, et qu’elle ne peut ni ne veut renier, quoiqu’elle s’en distingue profondément. La guerre que la Prusse a méditée et dirigée avec tant de succès contre nous est une vengeance pour le passé en même temps qu’une humiliation pour le présent.

Nous ignorons si, en ajoutant au titre royal, acquis au début du xviiie siècle dans une guerre contre la France de Louis XIV, le titre impérial, arraché pour ainsi dire à la France de la révolution, le souverain de la Prusse s’imagine nous avoir privés d’un bien précieux ; il est certain du moins qu’il se flatte d’avoir acquis un grand avantage. Il pourrait bien être dans l’erreur. Le césarisme a eu sa raison d’être dans le passé, et il a subsisté longtemps malgré bien des causes de ruine. Aujourd’hui il heurte de front les aspirations modernes, et les tentatives qu’on a faites depuis le commencement du siècle pour le restaurer ne semblaient vraiment pas de nature à encourager de nouveaux essais. Que présage donc la solennité de Versailles ? Pourquoi ce pathos des journaux allemands, qui ont constaté l’émotion de la statue de Louis XIV elle-même, « émerveillée » par le hourrah des assistans ? Qui a triomphé le 18 janvier ? Est-ce bien l’Allemagne ? De qui a-t-on triomphé ? Est-ce précisément de la France ? Tous ces princes qui entouraient le nouvel empereur pour lui servir de piédestal rappellent sans doute, mais rappellent avec gaucherie et de loin le cortège éclatant des seigneurs qui s’empressaient dans ces mêmes galeries autour du plus adoré des monarques. Si la cérémonie du 18 janvier a un sens, — et certainement elle en a un, — on peut dire que le château de Versailles a été témoin au xixe siècle de l’anéantissement politique des princes allemands devant le roi Guillaume, et par suite des états allemands devant la Prusse, comme il avait été témoin au xviie de celui de la noblesse française en présence de la royauté absolue.

C’est qu’en effet jusqu’à présent le résultat le plus certain, le plus grave de cette guerre pour l’Allemagne, pour l’Europe, pour la ci-