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de ses états héréditaires, par une nombreuse armée turque, et le roi de France par son attitude semblait être le complice du sultan. À peine prit-il soin d’arrêter quelques opérations militaires pour ne pas enlever à l’empereur tous ses appuis. Sans le secours désintéressé de Jean Sobieski et de ses Polonais, Vienne eût peut-être succombé, et quelles n’eussent pas été les conséquences d’une semblable catastrophe ! Pour récompenser les Polonais de ce secours providentiel, les Allemands se sont depuis joints aux Russes pour se partager la Pologne ; aujourd’hui ils se sont unis entre eux pour dépouiller les héritiers de Louis XIV, tant il est vrai qu’on ne gagne pas plus à servir les hommes qu’à les opprimer ou les épouvanter !

Il sembla dans cette circonstance que Louis XIV avait compté devenir le protecteur avoué et autorisé de l’Allemagne, obtenir la légitimation des réunions accomplies ou projetées, et même supplanter la maison d’Autriche dans la dignité impériale en faisant nommer son fils roi des Romains, ce qui était une élévation anticipée à l’empire. Un pareil dessein peut d’autant plus avoir traversé la pensée du grand roi, qu’il était en quelque sorte dicté par des précédens, et que le vertige de la puissance était alors arrivé au suprême degré chez Louis XIV. En effet, tous les traits de cette politique se retrouvent chez les rois qui l’ont précédé. Sans remonter jusqu’à Henri II, Richelieu et Mazarin, le premier par l’intervention dans la guerre de trente ans, le second par la création de la ligue du Rhin, avaient cherché à donner aux rois de France le protectorat de l’Allemagne ; la connivence avec les Turcs dans leur guerre contre l’Autriche, l’aspiration à la dignité impériale, se retrouvent chez François Ier, et même, durant l’enfance de Louis XIV, Mazarin avait tenté de le faire arriver à l’empire. Louis XIV a donc pu être entraîné à suivre les mêmes erremens, à rêver la direction de l’Allemagne, et par suite la domination universelle dans un temps où il voulait tout faire plier sous sa loi, où il se préparait à donner à l’Angleterre le roi qu’il lui choisissait, où dans son propre royaume il ne supportait aucune incorrection dans l’obéissance générale, où il ne tolérait pas plus la libre expression de la pensée janséniste que le libre exercice du culte réformé, de sorte que la justification de plus en plus complète du mot « l’état, c’est moi » semblait presque emporter ce corollaire sous-entendu : « l’équilibre européen, c’est la soumission à ma volonté. »

Assurément Louis XIV encourt la sévérité des jugemens de l’histoire ; mais nous dénions à un peuple quelconque le droit de formuler en son propre nom un jugement qui doit être rendu au nom des principes, au nom de tous les peuples également blessés par le système erroné et l’orgueil absolutiste de Louis XIV. Ce système,