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et, malgré son orgueil et ses habitudes despotiques, il tint parole. Aussi ne peut-on lui reprocher qu’une irrégularité de forme, et il est étrange que les Allemands du xixe siècle veuillent se faire les vengeurs des Strasbourgeois du xviie, surtout depuis que Strasbourg a donné par son héroïque résistance des preuves si éclatantes de son attachement à la France. Au fond, si l’Allemagne de nos jours s’attaque à Louis XIV, c’est parce que la réunion de l’Alsace à la France date du règne de ce roi, quoiqu’elle lui soit en réalité antérieure, et ne soit pas due à ses efforts personnels ; c’est surtout parce qu’il l’a confirmée par la prise de Strasbourg. Pour être conséquens, pourquoi nos ennemis ne s’en prennent-ils point aussi à la révolution, qui, en supprimant les droits des princes possessionnés, rompit les liens féodaux par lesquels l’Alsace se rattachait encore à l’empire germanique, remplit les Alsaciens du souffle puissant qui consomma l’unité nationale, et inspira, sans distinction de classe, de province ou d’origine, un même sentiment à tous les Français ? Jusqu’en 1789 en effet, plusieurs princes de l’empire avaient conservé dans la Lorraine et l’Alsace des possessions et des droits que l’ancienne monarchie avait toujours respectés. Ces droits, fondés sur les relations féodales, furent supprimés par l’assemblée constituante, lorsqu’elle abolit la féodalité dans toute la France. Les princes ayant réclamé, l’assemblée leur offrit une indemnité, qu’ils refusèrent en demandant l’appui de l’empereur. Cette plainte fut un des motifs dont l’Autriche et la Prusse, alliées contre nous, s’emparèrent pour attaquer et envahir la France en 1792. Quel fut le résultat de cette politique ? La paix que l’assemblée constituante avait espéré établir solidement sur la liberté, la communauté d’intérêts, l’alliance des peuples, fut détruite par les princes, préoccupés seulement de leurs prétendus droits. Quant à la Lorraine et à l’Alsace, elles devinrent plus que jamais françaises : l’union territoriale accomplie par nos rois se doubla de l’union des cœurs, due à notre révolution. La violence peut seule détruire cette double union, garantie par tant de traités, scellée par le patriotisme ; mais la force doit au moins revêtir l’apparence du droit, et l’Allemagne, sentant bien que sur ce terrain ses prétentions s’en vont en fumée, en est réduite à déclamer contre les « conquêtes injustes » de Louis XIV pour autoriser des conquêtes plus injustes encore, car les premières ne s’étaient exercées que sur des territoires dont la condition politique était incertaine, et elles ont été confirmées depuis par des traités nombreux, une possession deux fois séculaire, et le consentement manifeste des populations, tandis que celles d’aujourd’hui procèdent par l’outrage au patriotisme et la mutilation des peuples.

Les conquêtes que Louis XIV opéra judiciairement par ses cham-