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malheurs, abaissé le roi de France par les humiliations les plus cruelles, ruiné les finances, appauvri et affaibli le royaume.

Lorsque, des événemens terribles par lesquels la Providence nous fait passer en ce moment, on reporte sa pensée sur les douze premières années du xviiie siècle, on ne peut se défendre des réflexions les plus pénibles, et l’on se demande si la parole adressée par Louis XIV au duc d’Anjou partant pour prendre possession du trône d’Espagne, cette parole célèbre : « mon fils, il n’y a plus de Pyrénées, » ne renferme pas une amère dérision. En effet, nos relations politiques avec l’Espagne nous ont toujours porté malheur. C’est l’Espagne qui nous a valu les années les plus calamiteuses du grand règne. C’est en Espagne qu’est venue se briser la plus grande fortune militaire de la France ; la capitulation de Baylen est déjà grosse de la retraite de Russie, de la bataille de Leipzig, du désastre de Waterloo. L’expédition d’Espagne de 1823, dont s’enorgueillissait la restauration, en prépara la ruine et précipita la catastrophe de 1830. Enfin c’est d’Espagne qu’est parti le coup de tonnerre, signal de l’orage qui est venu fondre sur la France en 1870. En 1870 comme en 1700, l’Espagne a été l’instrument qui a soulevé l’Allemagne contre la France, et la différence la plus grave peut-être entre deux situations qui présentent tant d’analogies, c’est que les peuples, toujours victimes des calculs et des ambitions dynastiques, ont apporté dans cette lutte, l’un pour l’attaque et l’autre pour la défense, plus de concours et d’esprit national qu’on ne savait en mettre au début du XVIIIe siècle. Les nations se déchirent aujourd’hui comme alors, et peut-être avec plus de furie ; mais alors les peuples n’étaient pas consultés, tout dépendait de la volonté de princes que leur intérêt privé guidait essentiellement, et qui avaient plus ou moins le sentiment des intérêts des nations. Aujourd’hui les peuples sont consultés ou paraissent l’être ; ils apportent à l’exécution des plans qu’on leur propose une adhésion plus formelle et mieux constatée : ils semblent agir par eux-mêmes, et cependant ils ne réussissent qu’à être des instrumens ou des victimes.

L’Allemagne n’avait rien à débattre dans la guerre de la succession d’Espagne. Le seul compétiteur dont elle dût désirer le triomphe était le prince électoral de Bavière ; si ce prince eût vécu, le véritable intérêt de l’Allemagne eût été de soutenir ses droits, et si le corps germanique eût eu assez de perspicacité pour comprendre ce grave intérêt et assez d’énergie pour le défendre, une sorte d’unité allemande pouvait sortir de cet effort bien dirigé. Sans cesse partagés entre le roi de France, prince voisin, étranger, dont il leur fallait subir, quelquefois même rechercher la compromettante alliance, et l’empereur d’Allemagne, chef naturel du corps germanique, constamment tenté d’employer les forces de l’empire à l’a-