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habitudes, a toujours empêchés et empêchera bien longtemps encore. On se faisait cette illusion, où tombent facilement les Européens quand il s’agit de l’Orient, que l’Orient peut comprendre, apprécier, envier notre civilisation, et que, dès qu’il la comprendra, il ne manquera pas de l’embrasser.

Le traité de Du Bois n’est pas au surplus un fait isolé ; plusieurs autres mémoires sur la conquête de la terre-sainte se produisirent vers le même temps. L’ouvrage de Hayton, prince d’Arménie, est de l’an 1307. C’est en 1306 que Marin Sanuto revint de son dernier voyage, et commença le livre qu’il intitula Liber secretorum fidelium crucis. Ce livre ne fut présenté au pape qu’en 1321. Les moyens proposés par Sanuto vont mieux que ceux proposés par Du Bois au but que tous les deux se proposent ; mais le but était chimérique, et tous les moyens impliquaient un cercle vicieux. Sanuto, à l’encontre de Du Bois, ne veut entendre parler que de la voie de mer. Il sent avec pleine raison que la conservation de l’empire grec est d’intérêt majeur pour la chrétienté. Il est opposé à l’occupation de cet empire par les Latins, et ne demande qu’un dédommagement pour Charles de Valois et les Courtenai ; mais il rêve la réunion des deux églises : il ignore que la division en repose sur des raisons profondes, et que, mis en demeure de choisir, les Grecs préféreront le turban à la tiare. Sanuto est bien plus entendu que Du Bois dans les choses commerciales ; seulement il a moins d’esprit, moins de culture générale, moins de philosophie et de portée politique. Il n’est pas plus exempt que Du Bois d’une légère teinte de charlatanisme ; il écrit aussi mal, il est même plus déclamatoire et plus banal, et, s’il sort moins de son sujet, c’est qu’il reste étranger aux grandes questions sociales que l’avocat de Coutances traite avec une audace non exempte d’étourderie, mais à laquelle on ne peut refuser une véritable originalité.

Un mémoire sur la possibilité d’une croisade récemment publié par M. Boutaric, et dont l’auteur n’est autre que le célèbre Guillaume de Nogaret, paraît être de 1310. Les idées ont beaucoup d’analogie avec celles de Du Bois, ainsi qu’on devait s’y attendre. Un rapprochement plus curieux encore est celui qu’on peut faire entre le De recuperatione de Pierre Du Bois et le traité de Raymond Lulle intitulé De natali pueri Jesu, lequel fut composé dans les derniers jours de décembre 1306 et remis à Philippe le Bel en janvier 1307. Notre bibliothèque nationale possède le manuscrit original de ce traité (fonds latin, n° 3323). Raymond Lulle, comme Du Bois, veut que le roi demande au pape la fusion de tous les ordres militaires en un seul, et l’attribution des dîmes des églises à l’œuvre des croisades. On a déjà remarqué l’analogie qui existe entre les vues de Raymond Lulle, adoptées par le concile de Vienne en 1312, et les