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significatif ; elle est une sorte de désignation publique de celui qui relevait, il y a quelques années, parmi nous le drapeau humilié des « libertés nécessaires, » et surtout de celui qui au lendemain du 4 septembre allait plaider devant l’Europe la cause de la France, de l’homme enfin qui depuis plus de six mois, depuis le commencement de la guerre, n’a cessé de montrer autant de sagacité que de patriotisme.

Assurément depuis que cette triste période est ouverte, personne n’a vu plus clair dans nos malheureuses affaires, et on peut bien dire aujourd’hui que, si M. Thiers eût été écouté lorsqu’il en était temps encore, nous n’en serions pas réduits aux cruelles extrémités qui nous accablent. Dès le premier instant, on s’en souvient, il s’élevait contre la guerre avec une sorte d’émotion qui ressemblait à un pressentiment. Il rassemblait dans un des bureaux du corps législatif quelques-uns des ministres pour leur démontrer les dangers de la lutte qu’on allait entreprendre ; il savait, pour l’avoir lu distinctement dans nos budgets, que la France n’était pas prête pour une si grande aventure. Il ne pouvait pas tout dire publiquement, parce qu’on ne peut pas dévoiler les faiblesses de son pays au moment du combat ; mais il en disait assez pour donner à réfléchir, et on se souvient aussi des fureurs qui se déchaînèrent contre lui. Un mois après, membre du conseil de défense, il s’opposait de toutes ses forces à la marche militaire qui allait finir à Sedan. Plus tard, lorsque les malheurs ne se comptaient plus pour nous, lorsque le siège de Paris était déjà commencé, il insistait aux premiers jours de novembre pour qu’on acceptât l’armistice proposé alors, même sans le ravitaillement, et ce qui est arrivé depuis n’a fait que justifier sa prévoyance en montrant qu’on eût mieux fait évidemment d’accepter cette première trêve, dont les conditions étaient bien plus favorables que celles qu’on a dû accepter depuis. Un peu plus tard encore, lorsque notre armée de la Loire était intacte et venait même d’attester sa valeur par la reprise d’Orléans, M. Thiers pressait, dit-on, M. Gambetta de profiter de cette circonstance d’un succès qui relevait un peu nos armes pour rouvrir une négociation. M. Gambetta recevait, à ce qu’il semble, fort mal le conseil, et c’est même à partir de ce moment que M. Thiers devenait suspect, au point qu’on mettait en doute son patriotisme. Et cependant le conseil de M. Thiers n’avait rien que de prévoyant et de sage ; dans tous les cas, que risquait-on à le suivre ? Que pouvait-il arriver de plus que ce qui est arrivé ? On aurait évité peut-être quelques-uns de nos derniers désastres. M. Thiers n’a été écouté ni en ce moment ni en bien d’autres depuis six mois, et c’est parce qu’il s’est montré un conseiller clairvoyant, quoique inutile, parce qu’il a vu ce que les autres ne voyaient pas, parce qu’il a eu le courage de résister à des illusions que sa raison désavouait, c’est à cause de tout cela peut-être que l’opinion s’est portée vers lui avec un entraînement d’autant plus significatif que ces témoignages de confiance n’ont rien de personnel et