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de l’absence d’une foule d’électeurs ou de l’éparpillement des voix conservatrices ? En définitive, le résultat est le même, et à un certain point de vue il ne faut pas s’en étonner. Paris a l’habitude de l’opposition et de la fronde, il serait bien étonné s’il manquait à cette tradition ; il s’est montré aujourd’hui ce qu’il a toujours été. Ce qu’il y a de grave à l’heure actuelle, c’est que Paris n’aura peut-être réussi qu’à diminuer aux yeux du monde cette bonne renommée qu’il avait conquise par son attitude pendant le siège. Malgré tout, on ne peut pas dire que le scrutin du 8 février soit de nature à troubler beaucoup les Prussiens. M. de Bismarck et M. de Moltke, maîtres de nos forts, s’en inquiètent probablement assez peu. Et, d’un autre côté, ces élections dernières ne contribueront point assurément à relever le crédit et le prestige de Paris aux yeux de la France. Elles ne serviront au contraire qu’à l’isoler, à mettre plus vivement en relief le contraste de cet esprit d’excentricité révolutionnaire et de cette explosion d’idées modérées dont les élections des provinces sont la manifeste expression.

Ici en effet tout change, et les élections provinciales ont à coup sûr dans un autre sens la signification la plus claire et la plus décisive. Il n’y a tout au plus jusqu’ici que quelques départemens où les listes radicales aient pu passer ; dans presque tous les autres, le succès est aux candidatures modérées, conservatrices, libérales encore néanmoins, et on pourrait dire que ces élections des provinces ont justement le caractère d’une protestation contre tout ce qui est révolutionnaire. Les généraux frappés par M. Gambetta sont précisément ceux que les électeurs sont allés chercher pour en faire leurs députés. De toutes parts, les hommes qui ont eu un rôle dans les grandes luttes constitutionnelles, qui ont marqué par la fermeté de leurs opinions ou par leur talent sous la monarchie de juillet et sous la république de 1848, sont rappelés dans l’assemblée nouvelle. De candidats de l’empire, il y en a fort peu, nous le disions, et ils auraient dû être les premiers à s’effacer. La grande masse de ces nouveaux élus arrive évidemment à l’assemblée de Bordeaux avec un mandat de modération libérale et de paix, non pour représenter une réaction dangereuse, mais pour replacer la France dans les conditions d’une liberté régulière, et pour tout dire, si ces élections de 1871 pouvaient trouver leur expression dans un nom, elles se résumeraient en M. Thiers, qui est déjà dix-huit fois élu dans moins de cinquante départemens.

Cette fortune singulière, qui jusqu’ici n’était échue à personne depuis qu’il y a des assemblées en France, était bien due sans doute à celui qui est aujourd’hui une des premières illustrations de notre pays ; mais, qu’on ne s’y trompe pas, elle n’est pas seulement le prix de l’illustration, la suprême récompense d’un homme qui s’est honoré, qui a honoré son pays par la parole, par les travaux de l’esprit. Cette élection multiple, qui ressemble à une acclamation, a un caractère bien autrement