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mais possible, le radicalisme y aurait certainement contribué par ses procédés exclusifs et ses tyrannies agitatrices. M. Gambetta, dans une de ces circulaires qu’il lançait comme des ordres du jour, disait récemment qu’on devait exclure tous les anciens candidats officiels de l’empire parce que M. de Bismarck trouvait en eux des alliés, et il se sentait suffisamment justifié par la protestation même du chancelier prussien. Malheureusement M. de Bismarck et le bonapartisme ont bien d’autres alliés qui ne s’en doutent guère : ce sont ceux qui excèdent le pays de déclamations et d’agitations, qui le fatiguent de leur turbulence et de leur incapacité, qui font violence aux instincts, aux habitudes, aux mœurs des populations ; ce sont ces préfets qui font les proconsuls, les autocrates de la république, qui s’en vont prononcer des harangues matérialistes à l’enterrement de leurs amis ; ce sont tous ceux-là qui nous prépareraient cette humiliation incomparable d’une restauration bonapartiste, si c’était possible, si toute cette agitation était autre chose qu’une arrogance tapageuse désavouée par le vrai peuple dès qu’il peut se prononcer, comme on le voit. Chose curieuse en effet, à Lyon, même à Lyon d’où partaient depuis quatre mois les excitations les plus violentes, où s’était établie une sorte de commune révolutionnaire usurpant ou disputant tous les pouvoirs, quels sont les députés qu’on vient d’élire ? M. Jules Favre, le général Trochu, M. de Mortemart, M. de Laprade. Le vote régulier des populations du Rhône est venu démentir de la façon la plus éclatante les prétentions du radicalisme démagogique. À Bordeaux, dans cette ville qu’on représentait comme prête à prendre feu pour M. Gambetta, qui était par le fait soumise à une action plus directe du gouvernement, quels sont les noms qui sont sortis du scrutin ? Ils sont plus significatifs encore que dans le Rhône ; ce sont les noms du duc Decazes, de M. Thiers, du général d’Aurelles de Paladines, du général Changarnier ; on voit ce que deviennent ces mirages de faction et d’anarchie.

La vérité est que ce bruyant conflit, où M. Gambetta s’est engagé étourdiment, où il a compromis peut-être la république en croyant la servir, n’a été qu’une complication de plus dans des élections déjà passablement confuses, et le triste préliminaire de la réunion de cette assemblée qui n’a pourtant pas besoin qu’on lui crée des difficultés nouvelles. Tout ce qu’on peut dire de mieux, c’est que M. Gambetta s’est retiré à temps de cette échauffourée, qui n’était grave que parce qu’elle se servait d’une émotion patriotique trop légitime ; il s’est effacé devant une puissance qu’il ne pouvait méconnaître jusqu’au bout, la souveraineté nationale elle-même. Aujourd’hui cette souveraineté, dégagée des entrailles ensanglantées du pays, existe personnifiée dans l’assemblée, et c’est ce qui domine tout pour le moment. À vrai dire, ces élections et cette assemblée ont un caractère sur lequel on ne peut pas se méprendre, elle reflète un mouvement d’opinion trop universel pour n’être