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assignait généralement la date du 7 janvier comme la limite extrême de la résistance. Le 7 janvier arriva sans qu’aucun indice parût confirmer ces prévisions des gens « ordinairement bien informés. » Quelques jours plus tard (le 12 janvier), on pouvait lire même dans le Journal officiel une note des plus encourageantes sur les approvisionnemens plantureux que la délégation de Bordeaux venait de réunir pour ravitailler Paris ; mais le lendemain même de la publication de cette note et les jours suivans, toute une série de décrets ordonnant la mise en réquisition des grains dans la banlieue, l’apport sans aucun retard des blés non déclarés, etc., indiquaient suffisamment que le terme fatal n’était plus éloigné. On avait renoncé, sur les observations de la presse, à donner une prime aux dénonciateurs, et l’on eut le bon esprit de remplacer cette prime par la promesse d’un prix largement rémunérateur, soit de 50 francs le quintal pour le froment, de 35 francs pour le seigle et l’orge ; on menaçait encore de la confiscation, d’une amende de 1,000 fr. et d’un emprisonnement de trois mois les détenteurs de céréales qui s’obstineraient à les dérober à la réquisition.

Par malheur, ni la prime allouée aux dénonciateurs, ni l’appât d’un prix exceptionnel offert aux détenteurs, ni la confiscation, ni la prison, ni l’amende, ne pouvaient, hélas ! renouveler le miracle de la multiplication des pains. Il ne rentra que des quantités insignifiantes de blés de la banlieue, et comme, d’autre part, la consommation du pain allait en croissant à mesure que les autres alimens devenaient plus rares et plus chers, le gouvernement se voyait acculé à la nécessité d’ouvrir des négociations au moment même où le chef remuant de la délégation bordelaise, après s’être improvisé ministre de la guerre, le suppliait, que disons-nous ? le sommait d’attendre le résultat de ses combinaisons stratégiques. Il fallut donc s’efforcer de tenir encore. On se résolut à rationner le pain, et l’on fixa la ration à 300 grammes à dater du 15 janvier ; mais, comme il ne restait presque plus de farine, il fallut abaisser successivement la qualité du pain avec la quantité ; c’est ainsi que les Parisiens ont été nourris pendant trois semaines d’un mélange de farines de blé, d’orge, d’avoine, de riz, de pois secs, de féveroles, rudis indigestaque moles !

À cette alimentation administrative venaient s’ajouter les fonds de magasin du commerce de détail et ce qui restait des provisions particulières. N’en déplaise aux orateurs des clubs, c’était peu de chose, et les denrées les plus ordinaires avaient atteint des prix excessifs. Le beurre frais avait monté, au commencement de janvier, à 35 et 40 francs la livre, les œufs frais à 1 franc et même à 1 franc 50 cent. ; le lard se payait 6 francs la livre, le jambon 10 francs, une poule 25 francs, une dinde 125 francs, un canard 30 francs, un lapin de 25 à 30 francs, un pied de céleri 2 francs, un chou 6 francs, une livre de feuilles de chou 75 centimes ! Depuis que les pommes de terre avaient été mises en réquisition, elles étaient devenues introuvables. Le 17 janvier, le maire de