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la population finit par se contenter des 50 livres de bois vert qui étaient délivrées tous les trois jours, après une « queue » de trois ou quatre heures, aux porteurs de cartes de boucherie ; mais les relevés hebdomadaires de la mortalité attestent combien ces souffrances ajoutées à tant d’autres avaient été cruelles : dans le courant du mois de décembre, on vit le nombre des décès s’élever de 2,455 à 3,280, chiffre quadruple de la mortalité ordinaire. Peut-être avec un peu plus de prévoyance serait-on parvenu, sinon à éviter complètement cette aggravation de maux, du moins à l’atténuer. On pouvait d’abord s’abstenir de semer la panique en réquisitionnant les bois, les cokes et le charbon de terre ; on pouvait encore, sans attendre la fin de décembre, mettre en coupe réglée la couronne de verdure dont parlait le Journal officiel ; on pouvait acheter, pour le compte du gouvernement, l’approvisionnement considérable de charpente ou de bois à ouvrer sans emploi, ainsi que le conseillait un marchand de bois, M. Desouches ; on pouvait enfin se servir de l’entremise des charbonniers pour mettre ce combustible à la portée des consommateurs. On aurait dû, il est vrai, revendre à perte le bois sec, comme on revendait les approvisionnemens de bétail, de grains et de farines achetés pour le compte du gouvernement ; mais pouvait-on reculer devant une dépense si bien justifiée ? L’administration n’aurait pas hésité certainement à consentir à ce nouveau sacrifice, car on ne peut lui reprocher d’avoir manqué d’humanité ; c’est la prévoyance seule qui lui a fait défaut : elle n’avait pas prévu qu’il ferait froid au mois de décembre.


III.

En même temps que les rigueurs du froid et du rationnement du bois vert venaient porter à leur comble les souffrances et les privations de la population assiégée, sans ébranler cependant sa constance, dans les hautes régions administratives on commençait à calculer avec inquiétude la durée probable des subsistances. Au début, on l’avait évaluée trop bas, et le Bulletin administratif de la municipalité par exemple lui assignait pour terme extrême la première quinzaine de décembre. Ce terme ayant été dépassé, grâce aux approvisionnemens du commerce et aux matières premières de cette foule d’industries alimentaires qui ont leur siège à Paris, on tomba dans un excès de confiance, et on finit par croire que les munitions de bouche étaient décidément inépuisables. La grande majorité de la population était persuadée que l’on avait des vivres au moins jusqu’à la fin de mars, et dans les clubs on affirmait que les « perquisitions » dans les couvens et chez les particuliers permettraient de prolonger au besoin la résistance pendant un an.

L’administration devait savoir mieux à quoi s’en tenir, car elle avait dû faire dès les premiers jours de décembre des emprunts considérables aux approvisionnemens de l’intendance, et dans le monde officiel on