Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/746

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’ordre, de régularité et de prévoyance. Comment au surplus les choses se seraient-elles passées autrement ? La révolution du 4 septembre avait décapité, suivant l’habitude des révolutions, la plupart des services administratifs, pour créer des situations à son état-major en disponibilité. Quant aux fonctions des mairies, le suffrage universel a été appelé à y pourvoir ; mais est-il besoin d’ajouter que les élections municipales ont eu avant tout un caractère politique, et qu’on ne s’est guère informé des aptitudes administratives des candidats ? On a choisi des « hommes politiques » ou soi-disant tels, et si quelques-uns se sont trouvés être des administrateurs passables, ç’a été grâce à une faveur de la fortune ; il ne paraît pas toutefois que la fortune ait été prodigue de cette sorte de faveur.

Dans les arrondissemens révolutionnaires en particulier, où cependant l’intelligence et l’activité administrative étaient plus demandées qu’ailleurs en raison de la nature de la population, composée en grande partie d’ouvriers, les maires et leurs adjoints, anciens journalistes ou orateurs de clubs, n’avaient guère eu le loisir de se préparer aux fonctions qu’ils étaient appelés à remplir. Il leur fallait faire l’apprentissage de ces fonctions, auxquelles tous n’étaient pas propres, car enfin on peut être un polémiste acrimonieux, un conspirateur distingué, un agitateur des plus recommandables, sans posséder les qualités et les vertus qui font le bon administrateur. Quelques-uns se rebutèrent bientôt d’une tâche si ingrate, et qu’ils considéraient du reste comme secondaire ; ils continuèrent à rédiger leurs journaux ou à présider leurs conciliabules, en laissant à des agens inférieurs le soin de diriger les affaires de la mairie. En d’autres termes, l’inexpérience des nouveau-venus était obligée de se fier à la routine des anciens. Dans les circonstances ordinaires, ce laisser-aller eût été supportable peut-être ; mais en était-il ainsi dans un moment où tous les services recevaient une extension exceptionnelle, où il fallait organiser la distribution des subsistances et du combustible, s’occuper d’armer et de vêtir la garde nationale, et que savons-nous encore ? L’absence d’une direction intelligente, expérimentée, honnête, la routine des subalternes abandonnés à leur propre initiative pour improviser des services indispensables, ne devaient-elles pas rendre à peu près intolérable la situation des administrés, en multipliant et en aggravant tous les abus que les révolutions ont précisément la prétention de déraciner ? Et qu’on ne dise pas que le mal est venu de ce que la révolution n’a pas été assez radicale. C’est ainsi que les choses s’étaient passées déjà sous le régime de la terreur, où les mêmes causes de désordre avaient produit les mêmes résultats en dépit du spécifique souverain de la guillotine. « Les abus, disait Boissy d’Anglas dans un rapport à la convention, sont portés à un excès véritablement effrayant : partout la dilapidation la plus effrénée menace d’engloutir vos ressources… Aucune des parties de votre administration ne correspond