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Il faut convenir cependant que, si la « commune » l’avait emporté le 31 octobre, notre situation alimentaire, pour ne parler que de celle-là, eût été singulièrement aggravée. On sait quel était le programme de la commune en matière de subsistances. Il se résumait dans la formule du « rationnement gratuit et obligatoire, » autrement dit dans la mise en commun et le partage égal de tous les alimens. On aurait fait des « perquisitions » chez les marchands et chez les particuliers, sans oublier les couvens ; on aurait rassemblé les jambons, les fromages « cachés » et les autres comestibles dans des magasins publics, à moins que les détenteurs de ces denrées n’en eussent été constitués gardiens pour le compte de la commune, et les agens de l’autorité se seraient chargés d’en faire la répartition quotidienne entre les deux millions d’habitans de Paris. Est-il bien nécessaire de faire remarquer que les « perquisitions » n’auraient été qu’un immense pillage, à moins que la « commune » n’eût fait sans aucun retard de la « réaction » contre les pillards ? Qui sait s’il ne nous eût point été donné de voir les citoyens Delescluze, Félix Pyat et Blanqui passer du jour au lendemain à l’état de réactionnaires ? Si les pillards avaient eu le dessus, le sort de Paris eût été bientôt décidé ; si la force était restée aux dictateurs de la commune, nous aurions vu refleurir selon toute apparence l’économie politique de 1793, le maximum, les lois sur les accapareurs et le reste.

Le gouvernement, soutenu et contenu par la partie éclairée de la population, n’a point glissé sur cette pente, ou, s’il a cédé parfois à la tentation d’agir révolutionnairement en matières de subsistances, il n’a point persévéré, témoin par, exemple cette prime de 25 francs par quintal que M. le ministre du commerce offrait aux dénonciateurs de blés cachés, et que le gouvernement retirait deux jours plus tard sous la pression de l’opinion indignée. Rien n’était cependant plus conforme aux saines traditions. Il avait suffi de copier l’article 12 de la loi du 27 juillet 1793, rendu sur la proposition de Collot d’Herbois contre les accapareurs, qualifiés « d’animaux astucieux et féroces, sans cesse occupés de la ruine de la patrie ; » mais l’opinion, moins avancée apparemment qu’on ne l’était en 1793, s’est scandalisée de cette récompense accordée à la délation, et le gouvernement n’a point insisté.

Nous devons lui tenir compte de cette sagesse un peu négative, et lui savoir gré de n’avoir pas abusé des moyens révolutionnaires, auxquels les continuateurs des saines traditions de 1793, exploitant, suivant leur habitude, les préjugés et les passions populaires, le sommaient de recourir. Malheureusement son inexpérience administrative, son incapacité affairée, son défaut de prévoyance, n’ont été que trop manifestes. Depuis le commencement de la guerre, il n’y a eu qu’un cri contre « l’intendance militaire ; » mais, quand on examine de près comment les administrations civiles ont fonctionné à Paris pendant le siège, on se demande si l’intendance militaire n’était point en comparaison un modèle