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par la clause relative à la neutralisation de la Mer-Noire. Il invoque les nécessités de la défense nationale, comme si la flotte et l’arsenal de Sébastopol n’avaient pas été des moyens d’attaque et non de défense. Qui songe à menacer la Russie dans cette mer intérieure ?

Que répondent à cela les autres puissances contractantes du traité de Paris ? La Turquie paraît prendre son parti avec autant de promptitude que de résolution ; elle arme dans la mesure de ses forces, et ce n’est guère. Absorbée par le travail pénible de son organisation intérieure, l’Italie se désintéresse pour un temps des affaires européennes. La France ne peut entrer dans une nouvelle lutte. La Prusse est évidemment liée à la Russie par un traité secret depuis le commencement de la guerre qu’elle nous fait. Elle est donc complice, et le cabinet de Saint-Pétersbourg n’en a rien à craindre. Cependant tout porte à croire que la déclaration russe a mis M. de Bismarck dans l’embarras ; il aurait préféré qu’elle fût ajournée jusqu’au jour où les événemens lui permettraient de jouer un rôle actif en Orient : aussi doit-il être plutôt disposé à éteindre le feu qu’à l’attiser. L’Autriche avait proposé, il y a trois ans, une révision du traité de 1856 au profit de la Russie qui avait alors repoussé cette ouverture avec une hauteur dédaigneuse ; mais cette proposition avortée met le comte de Beust mal à l’aise. Il répond néanmoins avec netteté qu’entre dénoncer une convention internationale et la réviser, il y a une différence capitale. L’Autriche ne laisse pas douter qu’elle fera la guerre plutôt que de céder avec faiblesse. Le maintien de son influence dans les provinces danubiennes exige qu’elle observe à l’égard des populations orientales une attitude honorable et digne.

Et l’Angleterre, au profit de qui s’est faite la guerre de Crimée ? L’Angleterre se dit tout d’abord que la circulaire n’est pas une infraction au traité, qu’elle indique seulement l’intention de l’enfreindre plus tard. En fait, la convention de 1856 ne sera violée qu’à l’époque où la Russie aura construit une flotte de guerre et rebâti les fortifications de Sébastopol. Cela ne peut être fait immédiatement, ce qui laisse le champ libre à la discussion. En attendant, le mieux est de ne pas envenimer l’affaire par des marques d’impatience. Lord Granville répond donc que le cabinet britannique n’a pas d’objection de principe à soulever contre la révision amiable du traité de Paris, mais toutefois que ce traité reste en vigueur jusqu’à ce que tous les intéressés aient consenti d’un commun accord à en modifier les clauses. D’ici là, la dénonciation du gouvernement russe est nulle, et par conséquent la circulaire du prince Gortchakof est sans valeur. Ceci était dit, il faut en convenir, d’un ton ferme qui sauvait les apparences tout en laissant la question intacte pour l’avenir. Le prince Gortchakof n’en demandait pas davantage. La