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réclamation, pour être insignifiante en fait, n’en indique peut-être que mieux l’état des esprits, enfin les trappeurs de l’extrême nord-ouest ont violé la frontière des États-Unis. Le traité de l’Orégon conclu en 1840 entre les deux puissances limitrophes, a fixé leur frontière commune au 49e degré de latitude dans les solitudes inexplorées qui vont du lac Winipeg aux Montagnes-Rocheuses. On s’est aperçu dernièrement que la compagnie de la baie d’Hudson a établi l’une de ses stations de chasse à quelques centaines de mètres au sud de cette ligne idéale de démarcation.

On le voit, ces griefs sont nombreux, sinon graves ; mais ce qui est grave, ce qui doit à notre avis éveiller la sollicitude de l’Angleterre, c’est que la presse américaine a été presque unanime à reprocher au président trop de modération. N’est-ce pas l’indice certain d’une animonité réelle qui attend le moment de faire explosion ? On se dit en Angleterre que cette situation des esprits n’a d’autre cause qu’un désir immodéré de conquérir le Canada, et sans doute l’annexion du Canada, en supprimant 4 ou 5,000 kilomètres de douanes en confondant des intérêts dont la séparation des gouvernemens fait seul l’antagonisme, compléterait d’une manière splendide la grande république vers le nord. On se dit encore qu’un langage hostile à la Grande-Bretagne est la ressource commode du parti politique qui se veut rendre populaire. Tout cela est spécieux. Au fait, l’animosité des Américains du nord contre leurs cousins d’Europe est sérieuse, et elle peut au premier instant, par la folie ou par la témérité du gouvernement du jour, aboutir à une déclaration de guerre. Nous ne voyons qu’un cas dans l’histoire contemporaine où une haine de peuple à peuple se soit éteinte sans recours aux armes : c’est l’exemple qu’ont donné depuis cinquante ans la France et l’Angleterre ; mais les Anglais conviendront que cet exemple ne prouve rien pour l’avenir, car il a tenu deux ou trois fois à bien peu de chose que nos désaccords avec eux eussent une issue violente. On se dit aussi que les Américains du nord sont trop adonnés aux occupations pacifiques du commerce et de l’industrie pour se lancer dans les hasards d’une guerre, qu’ils sont accablés sous le fardeau d’une dette énorme dont ils ont hâte de se débarrasser, qu’ils ne sont prêts à aucun degré à entrer en lutte soit sur terre, soit sur mer. Qu’on ne s’abuse pas cependant à cet égard. La sécession leur a enseigné quelles sont leurs ressources en temps de guerre ; avant de commencer, ils sauront calculer, en bons commerçans qu’ils sont, ce que cela coûtera, et mettre le résultat probable en balance avec les sacrifices à faire pour l’obtenir. Au surplus, si leur tempérament n’est pas belliqueux en général, qu’on n’oublie pas qu’il y a chez eux nombre de gens hardis auxquels la guerre est la plus belle perspective de fortune ; ces