Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/717

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’emporter à la prochaine élection présidentielle. Les principales questions de politique intérieure que la pacification du sud avait laissé à résoudre sont maintenant résolues. Le seul moyen de réunir en faisceau les membres épars du parti républicain est d’adopter au dehors une politique vigoureuse, c’est-à-dire de reprendre avec insistance la suite des réclamations contre l’Angleterre, quand même cette ligne de conduite aurait pour effet d’amener une déclaration de guerre. La guerre n’est pas à redouter, elle serait populaire. Ceux qui seront au pouvoir lorsqu’elle commencera sont assurés d’y rester longtemps après. — Voilà ce qui se dit tout haut en Amérique. N’est-ce pas notre histoire d’hier que l’on raconte là ?

Ce qui ajoute à la gravité de ce fâcheux symptôme, c’est la connexion qui existe entre le général Butler et le président. On raconte que le discours de Boston avait été précédé d’une entrevue de ces deux personnages. On veut même que M. Butler soit destiné à occuper bientôt, en remplacement de M. Fish, homme d’un sens rassis, le poste de secrétaire d’état, le plus important des départemens ministériels. À première vue, il y aurait lieu d’être surpris d’un rapprochement entre le président et son ancien subalterne, qu’il a disgracié pendant la guerre de la sécession ; mais la vie publique exige bien des réconciliations étranges. Le général Grant n’a pas tenu comme homme politique ce que d’éminens services militaires avaient fait augurer. Il voudrait bien être réélu en 1872, et comme il s’entend mieux à conduire des soldats qu’à mener une campagne électorale, il lui faut l’appui d’un Butler qui sache manipuler les électeurs. Aussi n’a-t-on été que médiocrement surpris de retrouver dans le message présidentiel de cette année une variante adoucie des déclamations anti-anglaises du député du Massachusetts.

Le message est en effet presque un acte d’accusation contre la Grande-Bretagne, dont les péchés semblent s’accroître d’année en année. D’abord c’est la vieille affaire de l’Alabama, à propos de laquelle le président exprime l’espoir que le cabinet britannique acquiescera enfin en entier aux justes réclamations des États-Unis. Les relations avec le Canada donnent matière à plusieurs griefs. On se plaint que la libre navigation du Saint-Laurent ne soit pas garantie aux marins de l’Union par un acte international, comme celle du Rhin et du Danube l’est aux marins de toute nation par des traités conclus entre les diverses puissances européennes. On réclame encore contre le droit exclusif de pêche que les Canadiens prétendent s’attribuer dans leurs eaux territoriales, suivant l’usage des nations. Dernièrement, un bateau du Massachusetts qui se livrait à la pêche dans la zone réservée a été saisi ; en représailles, le sénat s’est mis à délibérer sur une proposition tendant à exclure le pavillon canadien de tous les ports de l’Union. Enfin, et la dernière