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le soin de rechercher si la prospérité intérieure de la Grande-Bretagne est minée par des vices encore cachés, nous contentant de faire voir que sa sécurité à l’extérieur n’avait d’autre appui que l’équilibre européen, et qu’elle a été en péril dès que cet équilibre, dont elle disait ne plus se soucier, a été détruit par les événemens.


I.

Nous nous proposons donc de passer en revue successivement la situation de l’Angleterre vis-à-vis des grandes puissances. Commençons par les États-Unis et rappelons d’abord les anciens sujets de litige entre les deux nations. Les États-Unis reprochent à l’Angleterre d’abord d’avoir accordé aux insurgés du sud la qualité et le bénéfice de belligérans dès le début des hostilités, en second lieu d’avoir autorisé la construction dans ses chantiers maritimes de corsaires confédérés, — le plus célèbre est l’Alabama, — armés et équipés par des négocians anglais, montés en grande partie par des matelots anglais, ravitaillés dans des ports anglais, et qui ont causé au commerce de l’Union des dommages évalués à plus de 60 millions de francs. La guerre de sécession étant terminée depuis longtemps, le premier de ces deux griefs n’a plus qu’un intérêt théorique ; le gouvernement de Washington ne le maintient que comme question de forme. Quant au second, il se résoudrait naturellement par une question d’indemnité pécuniaire que le cabinet de Londres, dans un esprit de conciliation, propose de déférer au jugement d’un arbitre. Cette solution, formulée en un traité diplomatique, a été rejetée d’un commun accord par le sénat et par le président de l’Union. En effet, ce n’est pas de l’argent que les Américains veulent tirer de cette contestation. Après avoir traîné l’affaire en longueur d’une manière propre à inspirer quelques soupçons aux gens impartiaux, ils ont enfin avoué leurs secrètes intentions par l’organe de quelques politiques aventureux. L’histoire ne laisse pas que d’en être curieuse. Il s’agit, souvenons-nous-en, de navires du commerce capturés à la mer. Quelles ont été les victimes de ces faits de guerre ? Les armateurs et chargeurs ? Nullement, nous dit-on, car ils s’étaient fait assurer contre les risques de guerre ; les compagnies d’assurances les ont indemnisés. Sont-ce donc les assureurs ? Non encore, car ils ont fait entrer en ligne de compte dans leurs contrats les chances de capture par les corsaires confédérés, et ils ont réglé leurs tarifs de garanties en conséquence. Si l’indemnité que paiera l’Angleterre était versée aux assureurs, ceux-ci devraient en bonne justice restituer les primes d’assurances qu’ils ont perçues. Que si au contraire les armateurs et chargeurs recevaient l’argent de la Grande-Bretagne, il y aurait double décompte