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élévation personnelle. Son caractère nous inspire plus d’étonnement que d’admiration. Il est aveuglé par la fortune et croit qu’il a le pouvoir de faire tout ce qu’il veut ; aussi ne sait-il pas ce que c’est que la modération, et celui qui ne se modère pas doit nécessairement perdre son équilibre et tomber. Je crois fermement en Dieu ; je crois qu’il règle les affaires de ce monde par sa sagesse, et je ne retrouve pas cette sagesse dans les abus de la force. Je garde donc l’espérance de temps meilleurs, sortis de nos maux présens. Tous les hommes de cœur ont la même espérance, le même désir, la même attente. Tout ce qui arrive et tout ce que nous avons déjà souffert n’est pas un état qui doive durer, mais seulement le sentier qui nous conduira à un état meilleur. Cette résurrection est loin de nous, nous ne la verrons probablement pas, et nous pouvons périr en tâchant de l’atteindre.

« Malgré tout, Dieu est juste. Je trouve consolation, courage, sérénité dans cette pensée et dans les espérances qui sont gravées dans mon âme. Tout en ce monde n’est-il pas transition ? Il faut pourtant le traverser. Ayons soin seulement que chaque jour nous trouve mieux préparés que la veille. Voici, mon bien-aimé père, ma profession de foi politique aussi bien qu’une femme comme moi peut la définir et l’exprimer. Vous y verrez que vous avez une fille résignée dans son adversité, que les principes de foi chrétienne et de crainte de Dieu que vous lui avez donnés portent à présent leurs fruits, et continueront à le faire jusqu’à son dernier soupir.

« Nos enfans sont nos vrais trésors, et nous les regardons avec une satisfaction complète et une juste espérance. Le prince royal est plein de vivacité et d’esprit, qualités remarquables qui sont heureusement cultivées. Il est vrai dans ce qu’il sent et ce qu’il dit. Il lit l’histoire avec intelligence. Il a pour le grand et le beau un attrait remarquable. Ses saillies nous amusent déjà. Il est tendrement dévoué à sa mère et a le cœur pur. Je l’aime de toute l’ardeur de mon âme, et je lui parle souvent des devoirs qu’il aura à remplir lorsqu’il sera roi.

« Notre Guillaume (le roi actuel) sera, si je ne me trompe, comme son père, simple dans ses habitudes, droit et intelligent. Il lui ressemble beaucoup, mais il ne sera pas si beau… Charles est bon enfant, gai, droit, plein d’intelligence et de talent…

« … Les circonstances et les situations forment les hommes, et il est peut-être heureux pour nos enfans d’avoir connu le malheur dans leur enfance. S’ils avaient été élevés au milieu du luxe et des jouissances, ils auraient pu croire que ces biens leur étaient dus. Ils voient sur le front soucieux de leur père et dans les larmes de leur mère qu’il peut en être autrement. »

On peut compléter cette lettre admirable par cet extrait du journal de la reine : « la postérité ne me placera pas parmi les femmes