Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/707

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

roi à Saint-Pétersbourg, et ils auraient pu revenir à Berlin, évacué par les troupes françaises, sans la campagne de Wagram. Il fallut passer à Hufen l’été de 1809. C’est à cette date que se rattache une troisième lettre de la reine Louise à son père, lettre dont les événemens qui suivirent et qui amenèrent la chute de Napoléon firent en quelque sorte une prophétie. Devant cette leçon adressée aux peuples qui s’abusent avec leur gloire passée, et aussi aux conquérans qui abusent de la victoire présente, la France et le nouvel empereur d’Allemagne ont l’une et l’autre à réfléchir. À nous, peuple pour le moment déchu, la reine déchue prêche la confiance dans l’avenir ; à son fils, victorieux et triomphant, la mère rappelle les retours possibles de la fortune.

« Hufen, 1809.

« Mon bien-aimé père, tout est perdu, si ce n’est pour toujours, au moins pour le présent. Je n’espère plus rien durant ma vie. Je suis à présent résignée et soumise aux volontés de la Providence. Je suis tranquille. Dans le calme de la résignation, si je n’ai pas le bonheur, je trouve un bien plus grand dans la paix de l’esprit. Il devient plus clair pour moi chaque jour que tout ce qui est arrivé devait être. La Providence voulait amener un nouvel ordre de choses pour renouveler le vieux système usé de notre politique, qui ne pouvait plus durer. Nous avons dormi sur les lauriers du grand Frédéric, qui avait, comme le héros de son temps, commencé une ère nouvelle ; nous n’avons pas fait les progrès que les événemens exigeaient de nous, et nous avons été dépassés. Personne ne voit cela plus clairement que le roi. Tout à l’heure j’ai eu une longue conversation avec lui à ce sujet, et il me disait tristement : « Tout ceci doit être changé. Il faut réformer beaucoup de choses. » Les meilleurs et les plus sages faillissent, et l’empereur des Français est habile et politique. Quand même les Russes et les Prussiens se seraient battus comme des lions et que nous n’aurions pas été conquis, nous aurions été obligés d’abandonner la lutte, et l’ennemi serait resté avec tous ses avantages. Nous pouvons apprendre beaucoup de Napoléon. Ce qu’il a fait ne sera pas perdu pour nous. Ce serait un blasphème de dire que Dieu a été avec lui ; mais en apparence il est un instrument dans la main du Tout-Puissant pour couper les branches qui n’ont plus de sève et qui ont grandi et se sont identifiées au tronc de l’arbre. Certainement des temps meilleurs viendront. Notre foi dans celui qui est le bien par excellence m’en répond. Le bien seul produit le bien. C’est pourquoi je ne puis croire que l’empereur Napoléon soit ferme et assuré sur son trône resplendissant. La vérité et la justice seules sont immuables ; il n’est que sage, c’est-à-dire que politique. Il n’agit pas d’après les lois éternelles, mais selon les circonstances qui s’élèvent devant lui. Aussi son règne est souillé d’injustice. Il n’agit pas généreusement envers l’humanité, son but n’est pas légitime. Son ambition désordonnée n’a d’autre fin que son