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« Memel, 24 juin 1807.

« L’armée a été obligée de se retirer ; il y a une suspension d’hostilités et un armistice de quelques semaines. Les nuages se lèvent, et se dissipent souvent au moment où ils semblent menaçans. C’est peut-être ce qui arrive en ce moment. Personne ne le désire plus vivement que moi ; mais les désirs sont des désirs, et ils sont sans consistance. Tout vient d’en haut !… Ma foi ne faillira pas. Vivre ou mourir dans les voies de la droiture, vivre de pain et de sel, s’il le faut, ne sera jamais pour moi un malheur suprême ; mon malheur est de ne plus espérer. Ceux qui ont été ainsi arrachés de leur paradis terrestre ont perdu la faculté d’espérer. Si le bonheur peut un jour se lever, ah ! personne ne le recevra avec plus de reconnaissance que moi ; mais je ne puis l’espérer. Quand le malheur nous écrase, il peut un instant nous embarrasser, mais il ne peut nous humilier tant qu’il n’est pas mérité. Le mal et l’injustice de notre côté m’auraient menée au tombeau ; je ne succomberai pas dans notre disgrâce, car nous pouvons lever le front haut. »

C’est au mois de juin que cette lettre était écrite, et au mois de juillet, après Friedland, les deux empereurs Alexandre et Napoléon, s’enivrant l’un l’autre des rêves de leur ambition colossale, firent venir à Tilsitt l’infortuné roi Frédéric-Guillaume, et y appelèrent la reine elle-même. « Ce que cela me coûte, a-t-elle écrit alors dans son journal, Dieu seul le sait. Je ne hais pas cet homme ; mais il a fait le malheur du roi et de la nation. J’admire ses talens, je ne puis souffrir son caractère fourbe. Je ne sais comment être polie envers lui ; mais il le faut, et je suis faite aux sacrifices. » On connaît tous les détails de la célèbre entrevue de Tilsitt, racontés avec tant d’éloquence par M. Thiers. Les écrivains allemands seuls ont cité une noble réponse de la reine Louise au conquérant. — Comment avez-vous commencé la guerre avec moi, vainqueur de tant de puissantes nations ? — Sire, la gloire du grand Frédéric nous a fait illusion sur nos forces ; elle permettait de se tromper.

La paix de Tilsitt promit au roi de Prusse la restitution de ses états ; mais cette restitution ne fut pas immédiate. Le roi et la reine de Prusse quittèrent cependant Memel, et ils ramenèrent leurs enfans dans le petit château de Hufen, près de Kœnigsberg. La vie de la reine fut toute consacrée à l’étude et à l’éducation de ses six enfans. Ses lectures favorites étaient l’Écriture sainte et les Psaumes, qu’elle appelait un alleluia dans les larmes, les notices de Suvern sur les grands hommes de l’Allemagne, et aussi les premiers écrits de Pestalozzi sur l’instruction primaire, dont elle encourageait avec ardeur la propagation. À la fin de l’année 1808, elle accompagna le