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à lui témoigner. Quand le jour se leva, les dernières harmonies s’évanouirent, et le bal se termina par une magique et entraînante danse des heures, ronde de douze jeunes filles qui vinrent, avec les poses les plus gracieuses, effeuiller des fleurs sous les pas de la reine. Nul ne se doutait alors que cette allégorie poétique marquait à peu près la dernière heure de joie quelle eût à passer sur la terre. Le moment des catastrophes approchait ; mais l’adversité devait trouver la mère du pays aussi vaillante qu’elle avait été bonne, sympathique et souriante avant l’orage.


II.

Paris peut lire à toutes ses murailles l’histoire des triomphes de Napoléon Ier sur l’Autriche et sur la Prusse (1805-1806). La colonne Vendôme et l’arc de triomphe du Carrousel datent de cette époque, et la Seine, à l’entrée et à la sortie de Paris, passe sous deux ponts qui portent les noms d’Austerlitz et d’Iéna ; mais ce n’est pas sur les murailles, c’est dans les esprits qu’il convient de graver l’histoire des profits tirés par la Prusse de nos services ou de nos fautes depuis cent ans. On peut dire que cette nation patiente, hardie et fausse nous a pris tout ce que nous ne lui avons pas donné. C’est la guerre de la succession d’Espagne qui aura valu à l’électeur de Brandebourg le titre de roi, et son arrière-petit-fils aura conquis le titre d’empereur par suite des difficultés que nous avons soulevées en 1870 à propos de cette même succession d’Espagne. À peine devenus rois, au milieu d’institutions du moyen âge et de mœurs des temps féodaux, les Hohenzollern ont emprunté à la cour de Louis XIV son langage, ses gens d’esprit, ses perruques, et, par la révocation de l’édit de Nantes, nous leur avons envoyé des écrivains, des hommes politiques et nos meilleurs artisans. Ils ont dû à notre neutralité coupable leur part dans les dépouilles de la Pologne et à notre neutralité imbécile, cent ans après, leur part dans les dépouilles du Danemark et du Hanovre. Sans insister sur ces rapprochemens, il est impossible de ne pas remarquer combien la politique de la Prusse au moment d’Austerlitz ressemble à la politique de la France au moment de Sadowa, et cela jusque dans les moindres détails. Ces deux nations ne sont pas seulement deux guerrières qui prennent tour à tour une revanche à coups de canon, ce sont deux joueurs qui, tantôt associés, tantôt adversaires, gagnent ou perdent par des combinaisons ou des fautes presque identiques. La France a dû Austerlitz à l’inaction de la Prusse, comme la Prusse a dû Sadowa à l’inaction de la France. L’offre honteuse du Hanovre,