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maturée de sa mère, elle n’avait pas trente ans quand son royaume fut bouleversé par l’invasion. Cependant le moment de son mariage, son entrée à la cour du roi Frédéric-Guillaume II, les premières années de son règne, sont comme un intermède brillant, un rayon de soleil entre deux orages qui contraste de la manière la plus saisissante avec le commencement et la fin de sa vie. Sixième fille du duc Frédéric de Mecklembourg-Strelitz et de la princesse Frédérique-Caroline-Louise de Hesse-Darmstadt, elle n’avait que sept ans en 1782, à la mort de sa mère, et son enfance studieuse auprès de sa grand’mère maternelle ne fut égayée que par les mariages de ses sœurs aînées et par l’amitié de sa sœur Frédérique, plus jeune qu’elle de deux ans. Les deux princesses firent leur premier pas dans le monde à un bal que le roi Frédéric-Guillaume II donnait à Francfort, où il tenait ses quartiers d’hiver avec ses deux fils, le prince royal et le prince Louis, dans les premiers mois de 1793, pendant que Louis XVI mourait sur l’échafaud et que la sœur de l’empereur d’Autriche gémissait en prison, entre la bataille de Valmy et le siège de Mayence.

Les deux sœurs causèrent une véritable sensation par leur beauté extraordinaire. Goethe, qui allait rejoindre le duc de Weimar, les vit toutes les deux, et il écrivait bien des années après : « L’impression que les deux princesses de Mecklembourg ont produite sur moi a été telle que je puis seulement les comparer à deux êtres célestes dont l’apparition a laissé dans mon souvenir une trace que le temps n’a pas effacée. » Ce fut aussi l’effet produit par les traits imposans, la taille élevée, le front pur, le beau regard, de la princesse Louise sur le prince royal de Prusse, jusque-là grave et presque insensible, pendant que le charme et la grâce plus délicate de la princesse Frédérique séduisaient son frère cadet, le prince Louis. Les deux sœurs furent fiancées aux deux frères le 24 avril 1793 dans l’église de Darmstadt ; mais la guerre recula le mariage. Il fallut prendre Mayence, qui résista jusqu’à la fin de juillet, livrer des batailles, traverser l’Allemagne, et ce fut seulement au mois de novembre que le roi de Prusse revint à Berlin. Peu de semaines après la mort de l’infortunée Marie-Antoinette, tandis que le sang coulait à Paris et en Vendée, Berlin était en fête, les deux princes Frédéric-Guillaume et Louis recevaient leurs fiancées sous des arcs de triomphe, au son des fanfares, dans la rue des Tilleuls pavoisée. Des jeunes filles allèrent au-devant du cortège en robes blanches, avec des branches de verdure à la main. On raconte que la plus belle jeune fille offrit à la princesse Louise une couronne de myrte en lui récitant des vers. Cédant à son émotion, la princesse sauta lestement à bas de la voiture, pressa la jeune fille sur son cœur, et