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politique, il dut prendre l’une et l’autre en même temps. Il fut seul juge comme il fut seul maître.

Toute justice émanait du prince ; il pouvait déléguer à des hommes de son choix son pouvoir judiciaire comme son pouvoir administratif. Il plaçait dans les provinces des officiers chargés de juger, de percevoir les impôts, de commander les troupes ; mais tous ces personnages, qui portaient le titre modeste d’envoyés du prince (legati), ou d’agens d’affaires (procuratores), n’exerçaient d’autre autorité que celle que le prince leur prêtait pour un temps. Ils ne jugeaient que par délégation du prince. Ils prononçaient les arrêts en son nom, et c’est de là que nous est venu cet usage, alors très nouveau, mais consacré depuis par le temps, que la justice soit rendue au nom du prince au lieu de l’être au nom de la société ou au nom de la loi.

Avec ce principe, il ne pouvait exister ni un jury ni un corps de juges indépendans. Un jury eût représenté l’intervention souveraine de la société, et cette intervention n’était pas plus admise dans l’ordre judiciaire qu’elle ne l’était dans l’ordre politique. Un corps de juges indépendans n’aurait pas même été compris, puisqu’il était admis en principe que la justice n’émanait que de l’empereur. Les princes ne songèrent même pas à établir deux classes distinctes d’agens, les uns pour administrer, les autres pour juger. La nécessité de séparer ces deux fonctions ne semble pas s’être présentée aux esprits. N’avaient-elles pas été longtemps réunies sur la tête des magistrats de la république ? Ne l’étaient-elles pas encore dans la personne du prince ? Il sembla donc assez naturel que l’agent du prince les exerçât conjointement et au même titre. Les fonctions administratives et judiciaires furent absolument confondues.

Si l’on se transporte au vie siècle de l’ère chrétienne, on trouve que l’ordre des fonctionnaires, c’est-à-dire des agens du prince, se composait de la manière suivante : l’empire était partagé en six préfectures, y compris celles de Rome et de Constantinople, et chacune avait à sa tête un préfet du prétoire. La préfecture se divisait en plusieurs vicariats ou diocèses, dont chacun était administré par un vicaire ou vice-préfet. Le vicariat enfin se subdivisait en provinces ; on en comptait cent seize pour tout l’empire ; elles avaient à leur tête des gouverneurs que l’on appelait tantôt proconsuls, tantôt recteurs, plus souvent présidens. Ces fonctionnaires étaient avant tout des administrateurs, leur premier devoir était de percevoir les impôts, d’opérer le recrutement des soldats, de faire exécuter les ordres du prince, de veiller à tous les intérêts de l’état ; en même temps ils se trouvaient investis du droit de juger.