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quelques tanneries. À l’est coule la Seine, fort large en cet endroit. Au nord est placé l’entrepôt des vins et eaux-de-vie, mesurant 141,700 mètres carrés. À l’ouest se trouve l’hôpital de la Pitié dont les bâtimens et les cours occupent 21,777 mètres carrés[1]. Il est important de tenir compte de ces chiffres, si l’on veut apprécier les faits à leur juste valeur. Tout d’abord il en résulte que le Muséum est à peu près complètement isolé. Ajoutons qu’un baraquement destiné aux ambulances militaires avait été établi dans le jardin le long d’une allée allant de la grande cour jusqu’au quai. Une autre ambulance fondée par quelques dames du Muséum avait été installée près de la rue Cuvier. Aucun de ces détails n’était certainement ignoré de l’ennemi, toujours si bien renseigné. Il savait bien que notre grand établissement scientifique était devenu une succursale de l’hospice de la Pitié[2].

Dès le début du siège et dans la crainte trop fondée d’un bombardement, le conseil des professeurs chargés de l’administration du Muséum avait pris les précautions nécessaires pour sauvegarder nos richesses scientifiques. La nature de l’établissement exigeait des mesures entièrement spéciales. Avant tout, il fallait parer au danger résultant de l’accumulation dans les salles d’au moins soixante-dix mille vases ou bocaux renfermant les plantes et les animaux conservés dans l’alcool[3]. Employés et professeurs mirent la main à l’œuvre. En quelques jours, cette masse d’objets inflammables fut à l’abri dans une espèce de crypte creusée sous le grand labyrinthe. Les pièces les plus précieuses, les échantillons uniques, des collections entières dont la valeur résulte de leur ensemble même, furent descendus dans les caves. On put croire pendant trois mois que c’était autant de peine inutile ; mais on sait comment le 8 janvier, entre dix et onze heures du soir, éclata à l’improviste ce bombardement sans précédent qui a motivé une solennelle protestation de la part des puissances neutres. Ne reconnaît-on pas à ce trait le Slave tel que l’ont peint les auteurs classiques et M. Amédée Thierry ? Il n’y a là qu’une différence de temps et de science. Au lieu des javelots de ses ancêtres, le Prussien nous envoyait ses obus à longue portée.

Les projectiles pleuvaient sur le Muséum. Professeurs, employés

  1. Tous ces chiffres sont tirés du Dictionnaire administratif et historique des rues et monumens de Paris, par MM. F. et L. Lazare, ouvrage dont les matériaux ont été puisés aux sources les plus officielles, l’un des auteurs étant un des chefs de la voirie de Paris.
  2. Dans les premiers temps de l’investissement, on avait aussi placé un certain nombre de bêtes à cornes dans l’allée qui longe la rue de Buffon. L’administration du Muséum en réclama en vain l’éloignement ; mais les Prussiens savaient qu’elles avaient disparu depuis longtemps quand s’ouvrit le feu sur Paris.
  3. À elle seule, la collection des reptiles et poissons compte environ trente mille objets de cette nature.