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et conquérant. Maynard eut pour successeurs deux de ces évêques guerriers qui, dans l’ardeur de leur prosélytisme, oubliaient volontiers l’horreur professée par l’église pour l’effusion du sang humain. Le premier, Berthold, d’origine saxonne, fut chassé par la force des armes, revint à la tête d’une armée, défît les Lives, et fut tué en les poursuivant. Le second, Albert d’Asseldern, aidé par l’empereur et par le roi de Danemark, se mit à la tête d’une croisade, aborda avec vingt-trois vaisseaux sur la rive septentrionale de la Duna, et y bâtit la ville de Riga, dont il occupa le siège pendant vingt-huit ans. Pour s’assurer un appui moins précaire que celui des croisés, le belliqueux évêque appela autour de lui des nobles allemands, et leur distribua les terres conquises à charge de service militaire. En outre il fonda l’ordre des chevaliers porte-glaive, qui subjuguèrent les Esthoniens. Christian, apôtre et évêque de Prusse, suivit l’exemple d’Albert, institua les frères de la milice du Christ ; mais, dans une bataille qui dura deux jours, les Prussiens tuèrent tous les chevaliers de cet ordre à l’exception de cinq. Alors Christian appela au secours de sa propagande les chevaliers teutoniques, déjà illustrés par leurs combats contre les infidèles d’Orient. Ceux-ci se hâtèrent d’accourir, et, réunis aux porte-glaive, qui se fondirent bientôt avec eux, ils commencèrent contre les païens de la Baltique une guerre acharnée, qui entraîna souvent la Pologne, menacée, elle aussi, par la puissance envahissante des chevaliers, et que les Prussiens appelèrent maintes fois à leur aide. Nous n’avons pas à raconter les péripéties de ces luttes ; rappelons seulement qu’au commencement du xve siècle l’ordre teutonique possédait l’Esthonie, la Livonie, la Courlande, la Samogitie, la Prusse, la Pomérellie et la Nouvelle-Marche. Dans leurs luttes avec les indigènes, les chevaliers se faisaient aider par des colons appelés de toutes parts, mais surtout d’Allemagne, et qui formèrent surtout la bourgeoisie des villes. Eux-mêmes étaient en grande majorité Allemands. Partout où les conduisait la fortune des armes, ils imposaient avec la religion chrétienne leurs lois et leur langage. Voilà comment la race germanique pénétra au cœur des populations locales, comment la langue allemande, la langue des vainqueurs, à son tour déposséda les divers dialectes slaves en Prusse, en Brandebourg, etc., comment elle restreignit de plus en plus l’aire des idiomes locaux en Esthonie, en Livonie et en Courlande. Si la victoire de Tannenberg, remportée en 1410 par les Polonais, n’avait arrêté le développement de la puissance teutonique, si la Pologne avait été subjuguée comme les contrées qui la bornent au nord, nul doute que la langue polonaise n’eût disparu de même, et que la terre des Jagellons ne fût aujourd’hui proclamée territoire allemand.