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reculés. Ils habitèrent d’abord les portions aujourd’hui tempérées de l’Europe. Or ces contrées ne ressemblaient guère alors à ce qu’elles sont devenues. Toutes nos chaînes de montagnes avaient à cette époque des glaciers plus étendus que ceux des Alpes actuelles. La faune, la flore, se composaient essentiellement d’espèces boréales. Jusque dans la France méridionale, le climat était évidemment humide, froid, et devait présenter beaucoup d’analogie avec celui que j’ai décrit en commençant. Quand s’ouvrit la période géologique actuelle, quand la température s’adoucit, les plantes et les animaux pour qui elle devenait trop élevée accompagnèrent les glaces qui reculaient vers le nord. Bien des tribus humaines durent les suivre, entraînées, elles aussi, par leurs habitudes, par l’attrait du monde qui s’ouvrait devant elles, par les nécessités de la chasse, comme le sont de nos jours les Peaux-Rouges d’Amérique. Peut-être aussi les premières invasions aryennes refoulèrent-elles dans les âpres solitudes du bassin de la Baltique une partie des allophyles, qui y trouvèrent la liberté jusqu’au moment où le flot des Slaves déborda jusque chez eux[1]. Quoi qu’il en soit, placés dans un milieu fort analogue à celui qu’ils avaient quitté, ils ne pouvaient que conserver leurs traits caractéristiques aussi longtemps que le croisement avec une autre race ne viendrait pas les altérer. Voilà pourquoi les Esthoniens de nos jours ont tous les traits ostéologiques essentiels de l’homme quaternaire de la France et de la Belgique.

Les distinctions tirées de l’anatomie et des traits extérieurs sont incontestablement d’une importance supérieure pour caractériser les races humaines. Les invasions ne peuvent rien ou presque rien sur les élémens physiques essentiels d’une population. Le mélange même des races les respecte en partie, et, grâce à l’atavisme, ils reparaissent de temps à autre dans leur intégrité première, même après des siècles de métissage. Il en est autrement des caractères linguistiques. Ceux-ci peuvent disparaître assez rapidement, et sont alors effacés sans retour. En cas de conquête, la race victorieuse impose toujours au bout d’un certain temps sa langue à la race vaincue. L’histoire des peuples européens fourmille d’exemples de ce genre. Lorsque le souvenir d’un changement de cette nature s’est perdu, quelque récent qu’il soit, il donne souvent lieu à d’étranges

  1. Cette manière de comprendre les migrations de la race finnoise est en désaccord avec la manière de voir de quelques écrivains de grand mérite qui la regardent comme venue du nord-est. Sans entrer dans une discussion qui m’entraînerait trop loin, je me bornerai à faire remarquer que mon opinion repose principalement sur les données assez récemment acquises au sujet des modifications climatériques subies par notre hémisphère. À l’époque où l’homme quaternaire vivait en France, les toundras du Ienisseï et toutes les localités analogues étaient inhabitables.