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pas d’affirmer hardiment qu’on ne peut contester ce qu’il vient de dire sans se rendre coupable d’hérésie, et d’insister pour que Boniface VIII reçoive une punition exemplaire qui imprime une crainte salutaire à quiconque serait tenté à l’avenir d’imiter sa conduite. Le pontife hérésiarque a soutenu qu’il était souverain du monde au spirituel et au temporel, maxime qui empêcherait les princes infidèles de se convertir, puisque par le baptême ils perdraient le fleuron de leur souveraineté. Comment a-t-il pu être assez téméraire pour vouloir gouverner le temporel, lui qui n’a pas su remplir ses devoirs spirituels ? Son premier devoir était d’enseigner l’univers, de même que Jésus-Christ envoya ses apôtres dans le monde entier avec le don des langues ; mais ledit Boniface a été négligent, il n’a pas enseigné la centième partie du monde. Pour cela, il eût fallu qu’il sût l’arabe, le chaldéen, le grec, l’hébreu, etc., puisqu’il y a des chrétiens parlant toutes ces langues qui ne croient pas comme l’église romaine, par la raison qu’ils n’ont pas été enseignés. Or il est notoire que Boniface ne sut aucune de ces langues. — Ce n’est pas la seule fois que Du Bois, avec un sentiment assez large, admettra dans le sein de l’église universelle les églises chrétiennes d’Orient que l’église de Rome traite de schismatiques.

Un passage remarquable est celui où Du Bois développe cette pensée qu’il a déjà indiquée dans la Quæstio, à savoir que Moïse représenta le pouvoir temporel, tandis qu’Aaron représenta le pouvoir spirituel des Juifs. Il parle pour la première fois en ce traité du pentarque d’Orient, sur lequel il revient dans le De récupératione, ch. 36, et dans une de ses pièces contre les templiers. « Si comme les pentarcos devers Orient, neuf cens evesques quique il y a sous li près de tous les Grieux. » M. de Wailly a pensé que ce mot pouvait désigner le souverain de la Russie ; mais le passage du De recuperatione, ch. 36, que notre savant confrère ne connaissait pas quand il écrivait son mémoire, tranche la question. Le mot pentarcos est évidemment le mot arabe batrak, ou « patriarche, » par lequel on désigne tous les grands chefs d’églises indépendantes en Orient. Le pentarcos de Du Bois est probablement le patriarche des nestoriens ou Chaldéens ou Syriens orientaux, nommé par excellence « patriarche d’Orient. » Le patriarche des Syriens jacobites avait sous lui un nombre d’évêques bien moins grand, et ce n’est pas de lui qu’il peut être question ici.

Ernest Renan.
(La seconde partie au prochain n°)