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Du Bois avoue son embarras. « Sur ce point et sur d’autres, dit-il, on doit s’en remettre au Seigneur Dieu des armées, qui saura bien établir un chef unique pour le temporel, comme il en existe un déjà pour le spirituel. Il est difficile en effet qu’il se passe un temps bien long avant que le roi d’Allemagne, pressé par des guerres, n’ait besoin de réclamer votre secours. D’ailleurs les fils de votre sœur[1], qui doivent succéder au trône d’Allemagne et à quelques provinces de ce royaume, pourront être élevés dans votre palais, en sorte qu’un jour, avec la grâce de Dieu, vous verrez vos vœux accomplis par leur intervention ou par leur volonté. »

Notre utopiste prévoit une objection : occupé de tant de grandes entreprises, le roi de France sera presque toujours hors de ses états et ne pourra jamais être en paix. « C’est le contraire, dit-il, qui arrivera par la grâce de Dieu : vous avez et vous aurez, beaucoup de frères, de fils, de neveux et d’autres proches que vous mettrez à la tête de vos armées pour diriger vos guerres, tandis que vous resterez dans votre pays natal pour vaquer à la procréation des enfans, à leur éducation, à leur instruction et à la préparation des armées, ordonnateur et dispensateur de tout le bien qui se fera et qui pourra se faire dans les royaumes situés en-deçà de la mer méridionale. »

À ceux qui trouveraient insolite cette manière de gouverner, Du Bois oppose l’exemple de quelques empereurs romains qui ont ainsi administré bien des royaumes ; il cite encore le roi des Tartares, qui vit en repos au centre de ses états, et envoie dans les différentes provinces des lieutenans qui combattent pour lui quand la nécessité l’exige. « Votre majesté, ajoute-t-il, n’ignore pas les malheurs qu’entraîne la fin prématurée d’un prince qui meurt dans une expédition lointaine, alors même qu’il ne pérît point par le sort des armes. Une triste expérience vous en a donné des preuves bien éclatantes et bien manifestes dans les personnes illustres de votre père et de votre aïeul. Les combats avaient cessé autour d’eux quand ils ont payé le tribut à la nature. C’est à l’intempérie des saisons et à la corruption de l’air qu’ils ont succombé, alors que les lois ordinaires de l’humanité et la force évidente de leur constitution semblaient leur assurer une longue existence. Et si l’on me dit que cet événement était réglé d’avance par le destin, et qu’ils n’auraient pu éviter ce genre de mort, je réponds que c’est là une opinion erronée, combattue par les vrais philosophes et par les théologiens. » Ici l’auteur avoue que les mouvemens des astres exercent une grande influence sur nos actions ; mais il prétend que cette

  1. Blanche, fille de Philippe le Hardi, qui épousa Rodolphe d’Autriche, fils d’Albert Ier, vers le mois de janvier 1300.