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toire naturelle en école supérieure agronomique ; mais ce projet tomba sous les critiques impitoyables de l’agriculture et de la science, qui se liguèrent contre le ministre. On songea aussi à développer davantage l’enseignement de l’économie rurale dans les cours du Conservatoire des arts et métiers, puis à créer à l’École centrale une classe d’ingénieurs agronomes ; ces tentatives furent abandonnées à causa de leur insuffisance. Ce que demandait l’opinion, c’était qu’on relevât l’institut agronomique de Versailles, et dans ces derniers temps la commission supérieure de l’enquête agricole se rendit enfin au sentiment public. De son côté, la Société des agriculteurs de France renouvela dans les termes les plus pressans le vœu que venait d’exprimer la commission de l’enquête. Malgré les événemens qui sont survenus, à cause même de ces événemens, il est temps d’accéder à de si justes désirs, si l’on ne veut que notre agriculture reste inférieure à celle des autres nations.

L’avenir est bien trouble, et ce que seront nos destinées, nul ne peut le dire ; mais, pour l’agriculture, comme pour l’industrie, les arts, la science, la politique, c’est d’un effort commun, incessant, opiniâtre, que dépendra la réparations plus ou moins prochaine de tant de désastres. De graves et cruels soucis ne laisseront maintenant sans doute que peu de liberté d’esprit à nos gouvernans. Prêtant l’oreille encore aux derniers échos de la guerre, remplis de l’unique pensée de sauver la France et de conserver son honneur, occupés à fonder, au bruit des dissensions politiques, la paix, l’ordre et la liberté, ne seront-ils pas détournés de beaucoup d’objets importans qu’ils considéreront comme respectables sans doute, mais secondaires et auxquels il sera toujours temps de songer ? Qu’on ne l’oublie pas, nous ne sommes plus, par malheur en situation de nous laisser distraire un seul instant des intérêts matériel du pays, quand ces intérêts se résument en ces deux mots : le travail et le pain. Il faut aussi que l’agriculture elle-même réponde à l’espoir qu’on a mis dans son bon sens, dans son patriotisme et dans son courage. Elle a souffert et souffrira beaucoup encore ; mais, au lieu de se répandre en plaintes qui ne sauraient que l’amollir et l’aigrir, elle doit se mettre virilement à l’œuvre, sans perdre une journée, quels qu’aient été d’ailleurs ses désespoirs et ses tristesses, quelle que soit aussi l’insuffisance des moyens dont elle peut à présent disposer. Qu’elle le sache cependant, jamais peut-être une plus favorable occasion ne s’est offerte à son activité. Si l’agriculture donne ces exemples d’initiative et de mâle énergie, elle ne sera pas seule à en recueillir les fruits, car elle aura contribué à préparer pour la France de nouveaux jours de prospérité et de grandeur.

Eug. Liebert.