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efforts ne pouvaient être que stériles. Il ne s’agit pas de mettre aux mains de nos 40,000 instituteurs, qui n’y sont guère préparés, la houe, la bêche ou le greffoir. S’il en est parmi eux qui aient le goût du jardinage, ou même une aptitude particulière pour les travaux des champs, ce sont des exceptions dont il faut se féliciter, mais ce sont des exceptions assez rares. La plupart de ceux qu’on obligerait à enseigner la pratique d’un métier qu’ils n’entendent point ne feraient rien d’utile, les supposât-on pleins de zèle. Ce qui importe, c’est de modifier le programme d’études des écoles rurales. On y apprend la lecture, l’écriture et les quatre règles, c’est bien, et il faut étendre à tous cette instruction première ; mais de quoi charge-t-on, après cela la mémoire des écoliers ? On les oblige à débrouiller la généalogie des rois de Juda et d’Israël ; les plus intelligens sont quelquefois initiés aux mystères de l’analyse grammaticale. Quant aux dictées, le maître les prend au hasard dans des Morceaux choisis des grands écrivains de la France, depuis Pascal jusqu’à Chateaubriand. Jugez de l’étrange chaos que cela doit produire dans le cerveau d’un jeune paysan. Ne pourrait-on substituer à cette routine prétentieuse quelque chose de plus modeste et de plus solide, faire apprendre par cœur aux élèves une sorte de catéchisme agricole où seraient réunis les principes clairs, incontestables, des bons assolemens, des bonnes fumures, de tout ce que vingt ans de labour n’ont jamais enseigné à un charretier ? Joignez-y des notions de comptabilité à l’usage des petits domaines, un peu de droit usuel, un peu d’arpentage, et même, si le maître en est capable, un peu d’histoire naturelle et de chimie élémentaires. Détruisez enfin ce qui reste de vieux préjugés par la lecture de quelques livres de bon sens. L’enseignement secondaire, qui fait également défaut, serait naturellement plus complet et plus relevé ; il conviendrait, jusqu’à l’âge de quinze ou seize ans, aux jeunes fils de cultivateurs destinés à suivre la carrière de leurs pères. L’empire nous a laissé une loi (celle du 21 juin 1865) qui ajoute au programme d’études des lycées et collèges des notions générales d’agriculture. Une pareille loi ne peut être que lettre morte, parce que les professeurs manquent, surtout parce qu’on ne prend au sérieux dans les établissemens universitaires que ce qui mène au baccalauréat. Les cours secondaires d’agriculture ne seront utilement suivis que sous des maîtres spéciaux dans des écoles spéciales. L’enseignement supérieur enfin, qui seul peut nous donner une bonne agronomie, n’attend qu’un mot du gouvernement pour renaître, car il brillait, il y a quelque vingt ans du plus vif éclat dans cet institut de Versailles dont la suppression a causé autant d’étonnement que de regrets. On a senti depuis quelle faute avait été commise, et l’on a recouru à divers expédiens pour la faire oublier. Il y a peu d’années, M. Duruy voulut transformer le Muséum d’his-