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mence à se répandre dans le monde agricole. On y répète, et peu à peu cette opinion s’accrédite, qu’il serait temps peut-être de dégrever entièrement les produits de la terre et de substituer à l’impôt sur les objets de consommation un impôt sur le revenu et des taxes municipales. C’est là une grosse question, qu’il ne convient pas d’effleurer ; constatons seulement qu’on l’agite. Il est vrai que plusieurs esprits sérieux aimeraient mieux se résoudre à diminuer l’impôt qu’à en changer l’assiette ; mais, même au xixe siècle, on fera bien peut-être de relire Vauban et sa Dime royale, et de pareils sujets d’étude sont de ceux qui conviennent particulièrement à une assemblée constituante.

Si résolu que l’on soit à ne pas insister sur le chapitre le plus délicat des doléances de l’agriculture, on ne peut cependant passer sous silence l’objet de ses récriminations les plus ardentes, l’octroi, qui touche, comme on sait, à cinq classes de produits divers : boissons, comestibles, combustibles, matériaux, fourrages. De toutes les taxes qui, n’importe à quel titre, sont prélevées sur les biens de la terre, il n’en est aucune qui excite un ressentiment si universel. Ce qui domine dans ce concert de plaintes, c’est la voix des viticulteurs ; mais en quelque province que ce soit, au nord aussi bien qu’au midi, ceux qui abordent ce sujet se laissent emporter à une sorte de rage ; leurs discours, leurs écrits, ont le même ton déclamatoire. Charge oppressive, impôt inique, vieux reste des temps féodaux, ce sont les termes les plus doux. De fait, on peut reprocher à l’octroi d’être un impôt mal réparti ; mais on lui reproche surtout (et c’est le plus grave) d’être le plus maladroit des impôts et de diminuer la consommation des villes au détriment de la production des campagnes[1]. La suppression radicale des octrois a donc été votée cent fois d’enthousiasme dans les assemblées de cultivateurs ; mais comment remplacer les recettes qu’ils donnent, c’est un point sur lequel on s’est moins entendu. On a proposé néanmoins bien des solutions du problème. Quelques-unes sont bizarres, quelques-unes aussi sont dignes d’un très sérieux. examen. Nous doutons qu’une élévation des taxes sur les chiens, sur les permis de chasse, sur les voitures publiques, un impôt sur les domestiques, sur les cercles et les cafés, sur les pianos, sur les billards, et tels autres moyens semblables atteignent le but ; mais on peut découvrir des ressources beaucoup plus sûres. M, Léonce de Lavergne,

  1. M. Romuald Dejernon, dans un travail nourri et plein de faits, intitulé l’Octroi et le vinage, a fait là-dessus des comparaisons intéressantes. On paie à Paris, sur les vins, 46 francs de droits d’entrée par 228 litres, à Rouen 33 fr., à Lyon 15 fr., à Bordeaux, à Toulouse, 6 et 9 fr., à Montpellier de 4 à 5 fr. Or il se consomme annuellement par individu, à Paris 100 litres de vin seulement, à Rouen 104 litres, à Lyon 180, à Bordeaux et à Toulouse 250, à Montpellier 300.