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appuyés par les plus respectables témoignages, ils sont dignes à tous égards de fixer notre attention.

L’ensemencement ne va point sans fumure, et ce ne sera pas une des moindres difficultés de cette année, comme de celles qui suivront, de fournir au sol la quantité d’engrais qui lui est nécessaire. La production des fumiers de ferme en France était insuffisante avant la guerre et ne répondait pas aux besoins de la culture ; or cette insuffisance a dû s’accroître d’une façon tout à fait alarmante à la fin de 1870. D’une part la sécheresse et la disette de fourrages, d’autre part les réquisitions des armées, tout a concouru à rendre le bétail beaucoup plus rare. Comment donc suppléer au manque d’engrais naturels qui est la conséquence d’un tel état de choses ? Les étables ne peuvent se repeupler d’un jour à l’autre. Quant au guano, les gisemens des îles Chinchas semblaient près d’être épuisés dès l’année dernière ; c’est une marchandise qui devient à la fois plus rare, plus chère et d’une qualité plus médiocre. Resteraient les divers engrais du commerce, surtout ces fameux engrais chimiques dont M. George Ville a donné les formules, depuis trois ans si discutées ; mais là le cultivateur sera retenu par les hauts prix, par la crainte de la fraude et par l’expérience de résultats douteux. Le moment n’est-il pas venu de nous affranchir de vains préjugés, de restituer aux champs une masse énorme de matières fertilisantes que laisse perdre notre routine, et qui sont recueillies ailleurs avec un soin presque minutieux ? Nous voulons parler des eaux-vannes et de l’engrais humain. Plusieurs chimistes, M. Boussingault, M. Barral, se sont livrés à de savans calculs sur ce qu’ils nomment la production physiologique de notre espèce, et ils estiment que cette production moyenne est annuellement par adulte d’environ 550 kilogrammes de matières solides et liquides, dont la perte équivaut pour l’agriculture à la dissipation d’un demi-milliard. Mettons qu’il y ait quelque exagération dans ce chiffre ; il n’en est pas moins vrai que nous n’avons su imiter encore ni le sewage des Anglais, ni l’industrie des habitans du Brabant et de la Campine, qui fertilisent la terre avec un compost fait d’engrais humain, d’eaux ménagères, de cendres et de suie. Une petite partie de la Flandre française et de l’Alsace suivent seules chez nous ces exemples. On peut citer aux environs de Reims et surtout aux environs de Paris, dans la presqu’île de Gennevilliers, d’intéressans essais d’utilisation des eaux d’égout ; mais ce ne sont que des essais, et appliqués à des surfaces bien restreintes. En ce qui concerne Paris, il est facile d’en juger. À la sortie du grand égout collecteur, à Asnières, deux machines à vapeur ont été employées pendant tout l’été et tout le printemps à élever chaque jour 6,000 mè-