Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/600

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les débuts de son histoire. Les Français, attachés à leur sol, se sont contentés de rapporter de l’étranger les éphémères lauriers qu’ils y avaient cueillis ; ils n’ont fait de conquêtes durables que celles des territoires qui avaient été détachés du domaine de leurs ancêtres. Les Allemands, gens plus besoigneux et plus positifs, ont eu d’autres desseins. Appartenant à ce même rameau de l’humanité dont sont sortis les pionniers qui ont mis en culture les plus riches cantons de la Transylvanie, qui ont défriché les solitudes de l’Amérique du Nord, à cette grande famille d’hommes qui a fondé des comptoirs dans toutes les parties du monde, qui inondait de ses avides pirates les côtes de la Manche et de l’Océan, qui constitua le noyau de la puissance russe, qui envahit la Gaule, l’Italie et l’Espagne vers la fin de l’empire romain, à cette forte race qui envoie aux États-Unis des nuées d’émigrans, les Allemands, issus de la même souche que les Scandinaves, les Anglais et les Néerlandais, dont ils inquiètent à cette heure l’indépendance, combattent surtout en vue d’ouvrir des écluses à l’excès de leur population, et, comme les Normands que conduisit en Angleterre Guillaume le Bâtard, c’est l’espoir du gain qui est leur premier mobile.


III.

Le contraste que je viens de faire ressortir montre clairement de quel côté est aujourd’hui le danger pour l’équilibre européen. La France doit craindre d’être en partie germanisée. Cette invasion de tout le peuple allemand se précipitant sur notre patrie, sous la forme d’une landwehr, n’avait-elle pas été précédée, préparée par des invasions partielles et pacifiques, de même que les migrations en-deçà du Rhin de peuplades germaniques avaient précédé et préparé celles des Francs et des Alamans ? Paris et une foule de nos villes étaient inondées depuis vingt ans et davantage d’ouvriers, de domestiques, de commis, d’industriels, de professeurs allemands. Le chiffre en croissait tous les jours sans que nous y prissions garde. Loin de nous alarmer de cette invasion, nous nous sentions flattés de voir tant d’étrangers préférer notre pays au leur, et témoigner ainsi de la supériorité de notre sol et de notre société ; mais, on ne l’a point oublié, la guerre n’a pas plus tôt éclaté que l’Allemagne a rappelé toute sa colonie. Les Allemands sont retournés dans leur patrie, ils ont été rejoindre la grande armée d’invasion qui s’avançait sur notre frontière, ils lui ont servi de guides, ils ont marché en éclaireurs, ils ont livré à leurs compatriotes les maisons dont ils avaient été les hôtes, la demeure des familles auxquelles ils avaient peu auparavant demandé un asile et du pain. C’est que la reconnaissance, à ce qu’il paraît, n’est pas une vertu germanique ; nos