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miner un litige. Faute de s’entendre sur le choix d’un tribunal arbitral assez respecté pour imposer l’exécution de ses sentences, on recourt aux armes, comme au moyen âge on vidait les procès en champ clos ; mais il s’est rencontré de tout temps des plaideurs honnêtes et des plaideurs de mauvaise foi, bien que le plus souvent chacune des parties croie sincèrement avoir de son côté le bon droit. La même observation est applicable aux nations quand elles se font la guerre, et cependant aucune n’a le privilège d’avoir eu l’équité constamment en sa faveur. Les avocats, pour gagner leur cause, ne négligent, on le sait, ni argumens, ni subtilités, ils ne se font pas faute de mauvaises chicanes ; de même, dans les luttes armées, on a employé toutes les inventions de l’adresse et de la ruse. Il était au demeurant fort naturel que souverains et gouvernemens en agissent jadis de la sorte, puisque populations et provinces avaient été assimilées à des biens-fonds, à des immeubles ; comme telles, on les aliénait, on les échangeait, on en faisait donation, on les constituait en dot ou on les transmettait par héritage, et c’est ainsi que se sont territorialement formés la plupart des états de l’Europe. Certains princes, certains pays, dans ces contestations armées, dans ces transactions, dans ces transmissions, ont été sans doute plus favorisés que d’autres. Quelques souverains réussirent à s’arrondir largement, plusieurs ont au contraire gaspillé leur avoir ; mais tous ou presque tous, heureux ou malheureux, ont obéi aux mêmes mobiles intéressés. C’est la peur, l’imprudence, l’inhabileté, bien plus que la modération et la générosité, qui ont empêché naguère tel ou tel état de s’étendre et de dominer ses voisins, car aucun, quand il a été assez fort pour guerroyer avec chance de succès, ne s’est fait scrupule de troubler la paix du monde. La France, l’Angleterre, l’Autriche, la Russie, la Pologne, la Suède, l’Espagne, ont procédé de même. Si la Prusse est moins souvent que nous descendue dans la lice, c’est tout simplement parce qu’elle apparut plus tardivement sur la scène politique, parce que son élévation est toute récente.

Que les Allemands aient la franchise de l’avouer, ce ne peut être pour punir et refréner l’ambition de la France qu’ils veulent à cette heure l’humilier et l’amoindrir, car la Prusse, dont ils suivent la bannière, n’est certainement pas plus irréprochable que notre pays. Les acquisitions successives de l’électorat de Brandebourg dans des contrées germaniques et dans des contrées slaves au mépris des traités mériteraient certes d’être expiées autant que les conquêtes de Louis XIV et de Napoléon Ier, et nous pourrions, nous aussi, comme le font les Prussiens, invoquer le Dieu justicier. Le vrai, c’est que la France et l’Allemagne sont deux puissances rivales qui, conduites par des vues différentes, sont entrées en lutte quand des complications venues d’un autre côté, des embarras intérieurs,