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peut lui reprocher de manquer de variété. Plus de la moitié des vingt-six pièces qui composent ce volume a pour sujet des faits réels, des drames dont le poète a été témoin ou acteur. Ce pauvre paysan qui, lié contre un arbre, a été contraint d’assister au supplice infâme de sa fille subissant sous ses yeux les derniers outrages de la soldatesque prussienne, M. Delpit a dû l’entendre raconter cette atrocité : c’est le sujet de la pièce intitulée Rencontre. Ce paysage attristé par le passage des Allemands, ces lieux autrefois séjour de la paix et aujourd’hui foulés par des soudards ivres de sang, sont encadrés par le poète dans la peinture de ses joies d’enfant quand il y venait passer ses vacances : rien de plus frais que cette description, rien de plus saisissant que ce contraste ; c’est l’idée du morceau qui a pour titre Souvenir. Un autre porte cette indication, Histoire quotidienne : un fermier revient de la ville, il hâte le pas pour embrasser plus tôt sa femme et son enfant. Il trouve sa maison brûlée, il cherche dans la cour, dans le jardin, au bois voisin, tout est vide ; l’infortuné aperçoit tout à coup au milieu du chemin

La mère morte, ayant l’enfant mort dans ses bras.

Ce fermier, on le sent, a lui-même récité au poète sa lamentable histoire.

M. Delpit, avant d’être le poète de nos calamités publiques, a été franc-tireur ; il a fait contre l’ennemi cette guerre des broussailles et des forêts qui le harcèle et réussit par momens à l’inquiéter ; il a vu les incendies, les ruines ; il a interrogé les victimes qu’il venge avec sa plume irritée. Avant d’écrire la pièce d’Après le combat, il a traversé la nuit, au milieu des cadavres amoncelés, la plaine de Freischwiller.

Les soldats qu’a fauchés la mitraille
Sont tombés l’un sur l’autre en ordre de bataille,
Sans bouger de leur poste au suprême moment :
Auprès du régiment un autre régiment,
Près du général mort l’officier impassible,
Et tous, fusil au poing, le front encor terrible,
N’ayant pas à la mort hésité de s’offrir,
Tels qu’ils avaient lutté se sont laissés mourir…
Nul n’a plié devant la trombe meurtrière ;
Pas de fuyards : aucun n’a regardé derrière !
Et sur ces morts qu’a faits la volonté d’un seul,
Le silence des nuits jeté comme un linceul.

Nous n’hésitons pas à ranger parmi les meilleures inspirations de l’auteur la pièce touchante du Départ du Breton. M. Delpit n’est pas un enfant de la Bretagne, et les hasards de cette affreuse guerre ne l’ont pas conduit dans cette province. Cependant il a exprimé avec bonheur la foi profonde des héros que les départemens bretons ont envoyés au secours de Paris. Le poète a parlé comme un chrétien convaincu. Il y a